Il y a quelques jours, je participai à l'événement d'annonce d'une technologie particulièrement innovante dans le domaine des réseaux sociaux d'entreprise. A mes côtés, il y avait un expert de la sociologie des mutations organisationnelles induites par la diffusion des nouveaux usages du web, un dénommé Stowe Boyd. Dans le jargon du métier, on regroupe ce genre de personnes sous le vocable de "keynote speaker". Les Québécois, souvent plus attentifs que nous au respect de notre belle langue les appellent des "conférenciers invités". Ces intervenants ont toujours un coup d'avance dans la compréhension des mutations en cours, ils cultivent souvent un look décalé et font appel à foison aux métaphores pour véhiculer leur message. J'aime ces gens-là car ils m'aident à voir le monde différemment, à voyager dans les angles morts de la rhétorique des classes dominantes. J'aime les écouter pour déceler, au travers de leurs propos souvent iconoclastes ou provocateurs, des os conceptuels à ronger.
Ce fut le cas lors de la présentation de Stowe Boyd. Alors qu'il dresse les orientations du nouvel humanisme en gestation, il énonce ce propos qui me frappe immédiatement : sur le plan spirituel, les dogmatismes fondés sur un principe d'autorité centralisée s'effritent. Ils laisseront la place à un monde devenu énigmatique et où l'autorité sera diluée au-delà des sphères traditionnelles d'expression du pouvoir, vers le lointain, le limes.
Sans doute emballé par ce que j'avais entendu, grisé par l'excitation intellectuelle, la chaleur du lieu, la sympathie des participants et les bulles de champagne, je sors de la conférence en omettant de reprendre mon paletot. Lorsque je me rends compte de mon oubli, la nuit est bien avancée. Le local est fermé. Je devrai attendre le lendemain pour récupérer mon manteau et tout ce qui va avec : clefs de voiture, d'appartement, etc.
Le lendemain, à la première heure, je pars récupérer mon bien. Mais voilà. L'idée d'habiter un monde énigmatique avait eu le temps de se ménager un petit territoire dans ma tête. Chemin faisant, je tombe en arrêt devant une séquence de trois affichettes publicitaires mettant toutes en scène des hommes en uniforme.
La première, c'est dans le métro que je la découvre. Un bobby y apparaît le regard apeuré, salement amoché. Il vient de subir l'agression d'un de nos compatriotes, qui a manifestement sauvagement massacré la belle langue de Shakespeare. C'est plutôt frais et sympathique.
La seconde, je la découvre une fois régurgité à l'air libre. Elle est tout sauf primesautière. On y voit un enfant-soldat dans un uniforme tout neuf, souriant à l'objectif. Comme l'indique le slogan, on préfèrerait le voir tirer des pénaltys plutôt que des balles réelles.
La juxtaposition de ces deux représentations d'humains en uniforme, vus à quelques minutes d'intervalle m'intrigue. Résultat : quand, en marchant, je découvre à la terrasse d'un café un garçon posant des sets de table représentant des Saint-Cyriens en tenue d'apparat, forcément, je m'arrête. Et là, j'ai un choc. Le message publicitaire ne promeut pas les mérites de la carrière militaire ; il vante la valeur de l'enseignement reçu à l'Ecole à la lumière des qualités requises pour exercer une fonction de management.
Je suis pris alors d'un sentiment de confusion total. Le flic qui se fait tabasser : subversion du principe d'autorité traité sur le mode humorisque. Les jeunes gens en habit de parade appelés à développer des compétences de management hors du commun : subversion à nouveau, mais cette fois-ci au profit du principe d'utilité ou d'employabilité. Le seul des trois, qui assume pleinement ce que nos aïeux appelaient le prestige de l'uniforme, c'est... l'enfant.
Oui, décidément, le monde est bien énigmatique. Mais je ne suis pas certain qu'on ait gagné au change.
Car si l'habit ne dit plus rien d'intelligible, il ne reste plus alors que mon corps nu, sans défense, recroquevillé sur lui-même dans une involution sans fin.
Bonjour Jean-Marc,
En même temps lorsqu'on se penche sur les images, nous pouvons comprendre que l'uniforme ne veut plus rien dire.
Sans doute que le monde est enigmatique. Pour ma part, je pense que l'uniforme est emblématique, donc symbolise quelque chose de précis.
A voir comment sont utilisés les uniformes sur ces affiches dites publicitaires, je me dis qu'il vaudrait encore mieux se retrouver nus. Car cela n'a pas de sens, et c'est pour le moins très mal adapté. Ce qui m'a vraiment choquée, c'est l'enfant dans sa tenue militaire. C'est de l'exploitation à enfant. Ca ne symbolise pas cela l'armée,(peu importe le pays.)
Enfin, cela ne devrait pas symboliser ceci...
Je pense que pour la symbolisation d'un pays, d'un corps de métier, il est important que l'uniforme demeure et qu'il ait un sens - je pense par exemple aux sapeurs-pompier, aux gendarmes, aux policiers.
En France l'uniforme scolaire n'existe plus, c'est dommage car le système scolaire public dit être laïc. Mais avec les différents moyens financiers des citoyens, je me dis qu'il y en a qui sont privilégiés et d'autres non. Cela enclenche une frustration qui peut finir par conduire certains jeunes dans la violence, vole et raquette. (Enfin, sans généraliser) Mais c'est une source inépuisable...
Le blog est riche en infos. Comme un petit journal, c'est intéressant parce que je trouve que vous employez des mots pour vos titres qui attirent l'oeil.
Quel est votre uniforme ?
Pensez-vous être enigmatique ?
Rédigé par : Nathalie | 26/11/2008 à 06:54
Bonjour Nathalie,
Merci pour votre passage sur ce blog et le long commentaire que vous y avez déposé.
Vous me posez deux questions difficiles et je vais m'efforcer d'y répondre le plus honnêtement possible dans les lignes qui suivent.
Vous me demandez d'abord "quel est mon uniforme". Dans la mesure du possible, j'essaie d'éviter le port de quelqu'uniforme que ce soit. L'uniforme me fait peur. Il représente pour moi l'image de la soumission, non assumée, à un principe extérieur sur lequel je n'ai pas de contrôle. Il est réduction de ma personne à un rôle, il est exigence d'obéissance absolue, envers et contre ma conscience. Pour cette raison, lorsque je fais acte d'obéissance, je veux pouvoir le faire avec mes habits, dans le plein exercice de mon esprit critique, en harmonie avec mes valeurs.
Votre deuxième question est encore plus ardue. De manière générale, je m'efforce d'être transparent au monde, à mes proches et surtout à ceux que j'aime. Pourtant, l'expérience m'a montré que tout ne peut pas se dire, soit parce que les mots énoncés ne sont pas les bons, soit parce que le contexte ne s'y prête pas, soit parce les oreilles du récipiendaire ne donnent pas le même sens à ces mots. Du coup, j'applique un filtre fait de silence & de bruit sur mes propres énoncés. C'est pourquoi, je dois bien le reconnaître, mes propos et mes actes sont des énigmes pour les autres. Même si c'est à mon corps et mon esprit défendant. A ce propos, avez-vous remarqué que le mot "tacite" en français, qui renvoie à ce qui est dit, tire ses racines dans ce qui est tu (tacere, taire) ?
J'espère vous avoir répondu du mieux que j'ai pu. Et vous Nathalie, que répondriez-vous à ces mêmes questions ?
Au plaisir de vous relire sur cette tribune.
Bien à vous
Jean-Marc
Rédigé par : Jean-Marc à Nathalie | 27/11/2008 à 12:54
Vu au détour de mes lectures : "Ceux qui sont venus l'arrêter étaient nombreux ; ils n'avaient pas de nom. Juste un uniforme". (in "La conjecture de Syracure", d'Antoine Billot - Gallimard, p.13)
Rédigé par : Jean-Marc - Complément | 30/11/2008 à 17:21
Bonjour Jean-Marc,
Je suis tellement sollicitée de droite et gauche que j'en avais presque oublié mon petit écrit sur votre blog et donc les deux questions posées...
Je viens de lire vos réponses et j'avoue que vous-vous défendez plutôt pas trop mal. Le but des questions n'étant pas de se dévoiler de façon explosive. Le but étant de réfléchir sur ce que l'on peut dire ou non, donc s'exprimer en parcimonie afin d'essayer au mieux de répondre aux questions.
La réponse est à soi ce qu'elle ne peut être à autrui. Je pense que vous comprendrez. Cependant, beaucoup de ce que vous dites m'interpelle, car en premier lieu vous défendez votre place ainsi que vos positions en matière du penser qui est vôtre.
Pour répondre à mes propres questions :
Quel est mon uniforme ?
Pensé-je être énigmatique ?
Mon seul uniforme est aléatoire puisque quotidien. Je n'ai donc que mes habits du jour en les changeant au fil du temps. Lorsque que je revêts un uniforme, il demeure purement professionnel. Cela dit, sous l'uniforme, je suis la même personne. Je suis une femme, un être humain, donc par dessus cet uniforme j'affirme ce que je suis, et non soumise à un régime quelconque. Je pense que c'est en cela que constitue mon uniforme : être moi-même sans que rien ne me soit imposé.
J'espère avoir répondu au mieux...
Quant à la deuxième question, me vient une autre question :
Se connaît-on soi-même ?
Je pense qu'au travers de celle-ci demeure une éternelle recherche de soi qui fait dire sans doute que tous, nous sommes plus ou moins énigmatiques. La question est ardue, en effet. Et je rejoins cette transparence face au monde. C'est ainsi que le Monde est face à nous-mêmes : transparent. Même s'il nous parle intensément.
Merci de vos réponses.
Vous souhaitant de passer de bonne fêtes de fin d'année.
Bien à vous
Nathalie
Rédigé par : Nathalie | 19/12/2008 à 14:20
Bonjour Jean-Marc,
Nous sommes le 12 Janvier et tu n'as rien posté depuis cet article fin novembre !!
Serais tu en manque d'inspiration ou tout simplement débordé ...?
Bonne année 2009
Christophe
Rédigé par : Christophe L | 11/01/2009 à 17:35
Bonjour Christophe,
Merci pour ton message chaleureux. A mon tour, je t'adresse tous mes voeux de bonheur et de bonne santé pour 2009.
Pour répondre plus précisément à ta question sur mon inactivité bloguesque, je dirais tout simplement qu'il est des moments où les topologies se brouillent, où les envies se déplacent, où il faut briser le pain (frangere il pane, frangipane) pour se réinventer un présent.
Je pense traverser un de ces moments. Comme je ne sais pas encore si le blog appartient à mon passé ou à mon futur, je le laisse (provisoirement ou définitivement, je ne sais pas encore) en suspens.
Bien à toi
Jean-Marc
Rédigé par : Jean-Marc à Christophe L. | 11/01/2009 à 20:13
L'uniforme n'a qu'une seule forme...
Rédigé par : unevilleunepoeme | 12/01/2009 à 23:36