Le week-end dernier, j'étais à Rome. Juché sur le promontoire de Santa Maria in Aracoeli, j'admirais les derniers rayons du soleil caresser les toits de la Rome baroque. Absorbé par la beauté du spectacle, je laissais mes pensées batifoler de toit en toi, vagabondant sans guide et sans hâte d'alcôves en terrasses. La beauté du panorama se prête tellement à la rêverie douce ou, pour être plus précis, à ce que mon ami Aureliano appelle "delle fantasie erotiche".
Devant ce spectacle, je me suis soudain rappelé un passage de "Iles" où Marco Lodoli compare les dômes si caractéristiques du baroque romain aux seins d'une femme mûre. A ce moment, une petite voix intérieure m'a gentiment rappelé que c'en était assez de mon obsession à rechercher (et parfois à trouver !) les attributs du corps de la femme dans la topographie des villes. A Rome en plus... Au coeur de la Chrétienté... Cela sent fort le soufre et le sacrilège. Le genre de pensées qui, en d'autres temps, eussent aisément conduit au bûcher, à moins bien sûr, à moins que vous fussiez pape, nipote ou apparenté tout simplement.
Pourtant, Lodoli est on ne peut plus explicite : "Da sempre Roma viene paragonata a una donna bene in carne, un po' madre e un po' zoccola, generosa nell'accogliere tra le tette dei suoi colli figli e figliastri". Ce qui, traduit librement par votre serviteur donne quelque chose comme : "Depuis toujours, Rome est comparée à une femme bien en chair, un peu mère et un peu putain, aussi généreuse à accueillir entre ses collines mamelues le fils prodigue que le fils indigne".
Rome est une femme alanguie, grasse et vulgaire comme la tenancière du bureau de tabac d'Amarcord chez qui le jeune Fellini en quête d'une cigarette Nazionale achetée à l'unité, se retrouve au bord de la suffocation, la tête aspirée entre les deux seins fabuleux de la marchande. Lodoli surenchérit quand il écrit que Rome est un "paysage dessiné au compas et au crayon gras, dont les aspérités ont été gommées et où, pour bien vivre, c'est à dire en paix, les vérités les plus acérées, les mieux aiguisées ont été écartées d'un revers de la main" (traduction libre de votre serviteur, encore).
Mais il ne suffit pas toujours de belles horizontales offertes pour basculer dans l'érotisme. Celles et ceux qui voudront approfondir les rapports entre horizontalité et verticalité, en quête d'une communion chair & esprit ou terre & ciel, les maîtres de la transcendance pourront aussi se satisfaire de la méridienne de Santa Maria degli Angeli. Quant à moi, vous l'avez peut-être remarqué, mon péché mignon consiste à rechercher dans toute ville le point focal d'où découle toute vie, son ombellico, la fameuse origine du monde de Courbet. Pour cela, mon esprit toujours enclin à la simplification a décidé. Il suffit de rechercher dans la topologie des lieux la figure ou le symbole du triangle comme allégorie du sexe féminin.
Cette recherche est plus ou moins aisée. Comme des femmes accortes, certaines villes se laissent facilement aborder. C'est le cas de Barcelone, de Lisbonne ou, comme me le faisait justement remarquer mon ami Michel, de Coni / Cuneo (construite au confluent de deux rivières et dont le nom a la même racine que le "cône" ou le "con"). La grande louve doit bien avoir son triangle d'or. Après un peu de réflexion, je crois bien l'avoir trouvé. Ne s'agirait-il pas de ce que les Romains appellent communément le Trident ?
Pour vous permettre d'apprécier, je joins un plan...
...et une photo aérienne :
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