La première fois où j'ai été à Miami, comme tout bon nouvel arrivé, je me suis rendu à Miami Beach. Miami Beach, c'est une presqu'île, une fine langue de terre entre l'océan et la lagune. Le jour, le bleu du ciel le dispute aux reflets tourmaline de la mer. Les murs sont blancs, les ornements art-déco sont pastels et les seins des filles sont d'une rondeur trop parfaite pour ne pas être suspecte. Le tout compose une belle symphonie de couleurs. La nuit, c'est encore plus spectaculaire. A peine le soleil a-t-il plongé derrière la ligne brisée des immeubles, que la cité se met à briller de mille feux. Le néon étincelle partout et les coloris sont tous représentés. Féérie chromatique.
En empruntant une des causeways qui relient Miami Beach à la terre ferme, le paysage s'ouvre. C'est de toute beauté. A main gauche, il y a les grands navires façon la croisière s'amuse et, sur la droite, les îlots artificiels sertis de magnifiques villas pour milliardaires. En face, les tours de Miami Downtown offrent un spectacle rassurant. L'horizon est fermé, on est sur l'eau. On se sent à l'abri comme quand on pose la tête sur le giron d'une femme.
Pourtant, il suffit de toucher la terre ferme pour changer brutalement de décor. Car, comme toujours aux Etats-Unis, les transitions sont brutales. Passé le mince rideau des tours, nous voilà plongés dans un environnement déprimant. L'élément liquide omniprésent il y a encore quelques secondes a totalement disparu, bien caché derrière le skyline rutilant d'acier et de verre des buildings de downtown. La mer-étale a cédé la place au terrain-vague. Devant s'étend la ville américaine typique : une juxtaposition à perte de vue de bâtiments de petite taille, de bretelles autoroutières, de fils électriques et de panneaux publicitaires. C'est déprimant ; ça sent les subprimes et le déclassement social.
C'est à se demander si ce qu'on a vu quelques minutes avant ne relevait pas du mirage, à moins que ce ne fût la manifestation en carton-pâte, façon village Potemkine, d'un rêve américain à bout de souffle.
Ici, dans ce quartier de la ville appelé Overtown, le rêve tourne court brutalement. Les bruits sont amortis ; les tons s'affadissent. Aux milles éclats de Miami Beach se substitue un camaïeu de bleu-gris. La couleur des hommes et des femmes aussi a changé. Ici, le noir règne en maître.
Miami noir.
C'est justement le titre d'un film-documentaire remarquable racontant la vie d'Arthur Teele. Teele, aurait pu être une figure emblématique du rêve américain. Tout semble lui sourire a priori. Héros de la guerre du Vietnam, il fait ensuite ses classes à Washington sous l'administration Reagan. Noir et républicain, ce n'est pas si commun à l'époque. Quand il arrive à Miami à la fin des années 80, il consacre son énergie à doter la ville d'infrastructures de transports en commun, puis se voue corps et âme à l'amélioration du sort des populations noires d'Overtown.
Pourtant, les choses basculent dans les années 90. Il est tour à tour accusé d'abus de bien social, de blanchiment d'argent, et d'entretenir des rapports intimes avec des transexuels. La presse locale s'acharne sur lui. Pour finir, en 2005, Arthur Teele se suicidera. Dans un geste hautement symbolique, le héros d'hier tombé de son pied d'estale commettra son acte ultime dans les locaux du Miami Herald.
Le documentaire est passionnant. Si vous avez 1 heure à tuer, si vous comprenez l'anglais et si vous supportez de voir la projection entrecoupée de spots publicitaires, je vous invite à le voir. C'est ici.
Retour à la question d'origine. Quelle est la couleur de Miami ? Entre le prisme scintillant de paillettes du bord de mer et le noir bakélite de l'intérieur des terres façon Toni Morrison, il est difficile de trancher. A moins que la réponse ne soit à chercher en marchant sur la plage, c'est-à-dire sur ce fil ténu qui délimite la frontière entre ces deux mondes si violemment opposés. En regardant à droite et à gauche, Miami vous y apparaîtra alors comme un kaleidoscope.
Tu me rassures ! Le souvenir que j'ai de Miami est celui des contrastes entre paradis, joyeux délires architecturaux - mais simplement sur une bande effilée de terre, ou sur une avenue - puis la juxtaposition d'immeubles abandonnés, squattés ou non, de terrains vagues, et d'immeubles en construction.
Plus la recommandation de ne surtout pas aller à Little Habana, etc...
Donc cela n'a pas changé, société finalement anarchique et sauvage, et bien vivante.
Rédigé par : Olivier Moreno | 29/01/2010 à 10:27
Comme quoi, parfois, le stéréotype et la réalité coïncident étonnamment !
Rédigé par : Jean-Marc à Olivier Moreno | 30/01/2010 à 18:42