Prenez des spaghettis, du scotch et des marshmallows et demandez à des petits groupes de 4 personnes de construire à l'aide de ces seuls éléments la structure stable la plus élevée possible.
Supposez maintenant que vous ayez constitué quatre groupes homogènes pour relever le défi. Vous avez d'un côté des jeunes étudiants récemment sortis d'écoles de commerce, des dirigeants d'entreprises, des avocats et des enfants de 5-6 ans du niveau cours préparatoire.
Selon vous, quel groupe aura la meilleure performance ?
Vous avez une petite idée ?
C'est le groupe des enfants du cours préparatoire qui, expérimentation après expérimentation, dépasse avec constance les trois autres groupes d'adultes bardés de diplômes de l'enseignement supérieur. Les seuls grands qui leur donneraient du fil à retordre seraient - à en croire les orgnisateurs du "marshmallow challenge" - les architectes, ce qui, quand on y réfléchit bien, est plutôt rassurant à une époque où d'aucuns réfléchissent à la construction de tours dépassant les 1.000 mètres d'altitude !
Alors pourquoi cela ? Tom Wujek, un expert dans le domaine de l'innovation, l'explique très simplement dans une conférence donnée à TED. C'est parce que les adultes ont été "formatés" pour conceptualiser la résolution de problème. A force d'insister sur le fait de réfléchir avant d'agir, ils ont intériorisé l'idée de trouver la solution d'un point de vue théorique avant de mettre les mains dans le cambouis. Pour eux, la séquence type de résolution du problème, c'est OPEO, soit, ORIENTATION -> PLANIFICATION -> EXECUTION -> OBSERVATION. Alors quand, à l'issue de ce processus marqué du sceau de la logique et du bon sens, ils observent que, malgré leur attention à la phase de planification, ce diable de marshmallow posé juste avant la fin du temps réglementaire fait écrouler l'ensemble de la structure, il est naturellement trop tard pour revenir en arrière...
Les enfants, en revanche, suivent une approche plus intuitive et résolument empirique. Après une courte phase d'ORIENTATION, ils vont très vite mettre la main à la pâte pour tester les interconnections entre les spaghettis, le scotch et le marshmallow à poser au sommet de la structure. Pendant que leurs concurrents d'âge mûr feront une boucle complète OPEO, les enfants auront fait moult tentatives, essuyé beaucoup de revers, mais aussi découvert tout une série de petites choses bien utiles pour construire leur structure. Leur aptitude à réaliser des boucles extrêmement rapides d'action / rétro-action leur offrira le moyen de parfaire leur apprentissage chemin faisant. C'est le fameux "learning by doing" des Américains.
D'où la question qui me taraude en ce moment. Dans un monde où de plus en plus de problèmes ressemblent à l'art de poser des marshmallows sur des spaghettis reliés entre eux par des rubans de scotch, devons-nous continuer à enseigner à nos enfants les mérites de l'approche patiente reposant sur la subordination de la pratique à la résolution théorique ou bien n'avons-nous pas plutôt intérêt à laisser s'épanouir leur penchant naturel vers l'exploration empirique des possibles ?
Ce que tu decris correspond un peu au concept d'agile development que les informaticiens utilisent de plus en plus. Le POC devient un prototype interne qui devient beta et la beta evolue peu a peu jusqu'a devenir le systeme final. Je te conseille de lire le blog de mon ami Isaac Sacolick de McGraw-Hill a ce sujet.http://ctotodevelopers.blogspot.com/ Je crois que ca va te plaire...
A bientot
Marc
Rédigé par : Marc | 23/07/2010 à 00:34
Merci Marc pour ton commentaire.
Amusant que tu aies fait un lien avec les techniques de "Rapid Application Development" promues par ton ami Isaac Sacolick sur son blog. Le rapprochement entre les deux thèmes n'est pas immédiat a priori.
Pourtant, en parcourant le blog d'Isaac , j'ai effectivement trouvé une foule de similitudes entre le comportement déployé par les enfants de kindergarten participant au "marshmallow challenge" et le type de dialogue qu'Isaac appelle de ses voeux dans le cadre de la relation toujours épineuse entre DSI et directions métier en entreprise.
Dans un cas comme dans l'autre, j'ai noté :
1. une écoute attentive des règles du jeu
2. la volonté de se conduire en "problem solver" et d'en faire une priorité d'action
3. le souci de "délivrer" rapidement pour nourrir le dialogue sur ce qui est bien et ce qui pourrait être amélioré
4. l'obsession du résultat
Un grand merci pour ce lien, donc, vers le blog d'Isaac. Je crois par ailleurs que de nombreux DSI gagneraient à le lire attentivement.
A bientôt
Jean-Marc
Rédigé par : Jean-Marc à Marc | 23/07/2010 à 09:20
Bonjour,
Merci ces références très intéressantes.
Sur des sujets connexes, voici 2 posts que j'ai lus aujourd'hui sur le blog de Richard Descoings :
http://www.richard-descoings.net/2010/07/22/des-eleves-francais-inhibes-par-la-peur-de-se-tromper-la-croix/
http://www.richard-descoings.net/2010/07/22/paris-stages-festival-of-errors-to-teach-french-schoolchildren-how-to-think-guardian/
Rédigé par : Arno | 23/07/2010 à 16:11
Arno,
Merci pour ces liens. J'ai tout particulièrement apprécié le premier. Je trouve que la notion d'angoisse suscitée par un apprentissage sanctionnant l'erreur n'est pas assez dévoilée.
Cela fait pourtant bien longtemps que les sociologues témoignent de ce phénomène (cf interview de Diane Coutu appelée "The Anxiety of Learning" en suivant le lien suivant : http://www.enpiprocess.com/doc/learning.pdf ). Curieux, vraiment très curieux que notre système scolaire maintienne cette logique où erreur rime avec terreur et enseignement avec en saignement.
Aurions-nous oublié la très belle étymologie d'école qui renvoie à l'oisiveté, à cette belle disponibilité d'esprit qu'il nous faut offrir pour accueillir savoirs & raisonnements nouveaux ?
Au plaisir de vous lire,
Jean-Marc
Rédigé par : Jean-Marc à Arno | 23/07/2010 à 20:29
Jean-Marc,
Ton article est passionnant et en droite ligne de ce que j'ai pu voir chez IDEO et tester dernièrement avec mes équipes.
Pour innover, il faut jouer. Ce qui implique quelques règles et un climat de confiance. Les enfants l'ont spontanément, les adultes beaucoup moins (voir cette vidéo de TED encore http://www.ted.com/talks/tim_brown_on_creativity_and_play.html).
Il faut aussi des espaces adaptés (vs. des salles de réunions) et des outils pour expérimentés : les logos, la patte à modeler, les feuilles de dessins (vs. les ordinateurs). Bref retrouver son ame, son environnement et ses outils d'enfants. Inspirant. Merci l'ami.
Rédigé par : Jérôme | 01/12/2012 à 16:16
Jérôme,
Merci pour ton commentaire.
Et quelle chance d'avoir pu écumer les couloirs d'IDEO !
Merci aussi pour avoir partagé la présentation de Tim Brown. J'ai bien aimé le résumé qu'il fait sur le processus de mise en branle de nos capacités créatives :
1. Libérer le potentiel en allant chercher le plus grand nombre possible d'idées ("shoot for numbers")
2. "Prototyper", construire, bâtir et de préférence avec nos mains, histoire d'imaginer de façon très pratique à quoi le "nouveau bouzin" pourrait ressembler.
3. puis... mettre en scène ("act it out"). C'est le troisième moment de la création : donner du souffle à notre création, l'animer, la rendre vivante...
A bientôt l'ami.
Jean-Marc
Rédigé par : Jean-Marc à Jérôme | 07/12/2012 à 08:30