Autour de la rue de Turenne où j'habite, il y a de lourdes portes, fermées le plus souvent, surmontées de mascarons. Je me suis toujours demandé quelle intention habitait l'architecte pour orner les clefs d'arcades de ces figures inquiétantes ou sardoniques. Quels secrets défendent-elles ? De quelles vérités sont-elles les gardiennes ?
Dès que je vois un entrebaillement entre les battants de ces lourdes portes, j'aime à me faufiler, le coeur battant à tout rompre, comme si je commettais une grave faute, une incursion interdite dans le mystère.
Il faut dire que je suis rarement déçu. Je me souvient récemment, rue Saint Gilles, être tombé sur un merveilleux petit jardin planté de roses aux tons on ne peut plus délicats.
Une autre fois, me voilà nez à nez avec un buste de Braille aux yeux éteints. Pourtant, la découverte qui m'aura le plus marqué est celle d'un puits dont l'ouverture était occluse par une plaque de verre fêlée réfléchissant les rayons du soleil matinal.
Cette rencontre inattendue me surprit d'autant plus que la veille, j'avais lu dans Le Cimetière des bateaux sans nom d'Arturo Pérez Reverte, l'histoire incroyable de la façon dont un savant grec alexandrin du nom d'Eratosthène avait, à partir d'un puits et plus de 2 siècles avant notre ère, fourni non seulement une preuve nouvelle de la rotondité de la Terre, mais aussi calculé avec une précision étonnante la circonférence de notre maison commune.
Tout avait commencé avec une observation surprenante. Le 21 juin, dans la ville de Syène (aujourd'hui Assouan en Egypte), à midi, la lumière du soleil tombait à la verticale dans le puits. Ce phénomène ne se produisait que ce jour-là et à cette heure-là. Or, le même jour à la même heure, dans sa bonne ville d'Alexandrie, un bâton planté dans le sol fournissait une ombre portée de 7 degrés.
Fort de ce constat, Eratosthène déduisit par une simple règle de trois à la portée d'un enfant de 10 ans que la circonsférence de la terre était donnée par la formule :
... ce qui, à l'aide des données disponibles à l'époque, donnait une circonférence de l'ordre de 40.000 km.
L'explication sur la façon dont Eratosthène a calculé la circonférence de la Terre à l'aide d'une simple bâton ou gnomon est fournie sous forme écrite ici. Mais hier, en discutant avec mon fils Julien, il m'a fait découvrir un joli cartoon réalisé sur internet pour illustrer le raisonnement génial d'Eratosthène. C'est ici et autant vous le dire tout de suite, je me suis régalé en le visualisant.
Les puits sont d'étonnantes passerelles de communication entre le monde de l'ombre et celui de la lumière. En se penchant sur la margelle et en baissant le regard, leur verticalité pointe vers le centre de la Terre, vers les divinités chthoniennes. Pourtant, leur fond forme message. Comme ici à Venise où je vois se refléter l'élegant travail de fer forgé sur la surface de l'eau dormante.
Ce n'est sans doute pas pour rien que Corto Maltese s'accoude sur un putéal pour délivrer sa vision du péché originel à une assemblée de chats bien attentifs.
Au fond de l'image, un croissant de lune aux courbes outrées d'un sein refait nous rappelle l'aventure d'Erathosthène elle aussi développée autour d'un puits mettant en correspondance rayonnante Terre et soleil.
PS - Un grand merci à toi, Julien, arpenteur des technologies modernes et des savoirs anciens pour m'avoir fait découvrir ce joli cartoon de vulgarisation intelligente.
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