Autant le dire tout de go : je ne supporte plus la cuisine internationale. Ou plutôt, je n’en peux plus de devoir subir le phénomène de globalisation appliqué aux plaisirs de la bouche.
Tout a commencé un samedi soir d’août à Miami dans le design district. Alors que je devisais avec des amies pour savoir où nous irions dîner, nous tombâmes d’accord pour aller dans un restaurant asiatique sis dans un endroit réputé branché.
Une fois sur les lieux, je me rendis compte que l’endroit branché en question se situait en plein milieu d’un terrain vague informe et était constitué d’une théorie de restaurants, lounges et autres bars à la mode distillant de la musique d’ambiance insipide dans un inévitable décor de lumière tamisée. Ca et là, un écran géant permettait aux convives de suivre les évolutions d’athlètes bien nourris, aux muscles saillants et aux faciès casqués. Ils jouaient à ce que les Américains appellent football.
Côté restauration asiatique, nous avions le choix entre l'incontrounable restaurant japonais avec sa carte de sushis et un thaïlandais dont la carte, forte d’une vingtaine de pages traduites en 4 langues, requérait 10 bonnes minutes chrono pour en faire le tour d’horizon.
Et là, au moment où, me retournant sur ma gauche, je pouvais contempler les dizaines de tables du restaurant italien, je fus pris d’une crise. Un sentiment oppressant de perte de repères venait de prendre possession de moi.
Il faut dire qu’aux Etats-Unis, les repères, c’est le cadet de leurs soucis.
Il y a deux choses que je trouve insupportables aux Etats-Unis quand je pense à la nourriture : c’est la réduction du champ des possibles d’un côté et la perversion du peu qui reste disponible, de l’autre.
A chaque fois que je dis cela autour de moi, ça ne rate pas, j’assiste à une véritable levée de boucliers. Pourtant, je le clame haut et fort : aux USA, on manque cruellement de choix. Du reste et pour ne pas être accusé encore de faire ma mauvaise tête, je préfère laisser ici la plume à Maxime Cohen, auteur d’un raffinement littéraire exquis et qu’il est difficile de taxer d’anti-américanisme primaire tant il vante régulièrement les beautés et les mérites de cette grande nation. Dans son livre Eloge immodéré des femmes chez Grasset et plus particulièrement un récit appelé Passage par New York, il écrit : ‘‘Il n’y a d’ailleurs ici que trois cuisines : une cuisine italienne qu’il est touchant de voir les Américains prendre pour de la cuisine italienne, une cuisine asiatique qu’on ne mange pas ailleurs et une cuisine sud-américaine (…)’’.
La pauvreté des choix est une chose. Disons qu’elle m’attriste. Mais il y a en revanche quelque chose qui me met dans des rages folles : c’est la capacité qu’ont les Américains à dénaturer systématiquement tout ce qu’ils touchent. Impossible de se faire servir du vin de Bordeaux ici. Pourquoi ? Parce que quand vous demandez du vin dans un restaurant vous avez juste le choix entre cabernet et malbec si voulez du rouge, merlot et merlot si vous voulez du blanc. J’exagère ? Oui, bien sûr. Mais n’empêche, comment voulez-vous vous faire servir des vins travaillés, fruit du mélange de cépages complexes dans ce pays où les vins doivent être mono-cépage. Quant à la notion de terroir, autant que vous le sachiez une fois pour toutes. Sauf à aller dans des restaurants pour milliardaires, elle n’existe pas. A défaut de terroir, voire de vignoble, vous aurez à choisir un pays : "Chili ou Argentine ?"
Dans le même ordre d’idée, je m’étais déjà ému sur le fait que là-bas, ils n’ont pas le moindre scrupule à vous servir une caïpirinha avec des gros glaçons et à l’orthographier avec un tilde sur le ‘‘n’’. Faux sur la graphie, faux sur la composition… Ma raison hurle au viol, mon palais crie à l’arnaque !
Le manque de choix d’un côté et la trahison systématique du goût… Voilà les deux raisons qui font que, quand je reviens en France après un séjour plus ou moins long aux USA, je ne peux pas m’empêcher de m’offrir un truc « bien de chez nous » qu’on ne trouvera nulle part ailleurs. Et la semaine dernière, je n’ai pas dérogé à la règle. Je me suis rendu au ‘‘Roi du Pot-au-Feu’’. Dans le bistrot art-déco, façon années 30, le zinc avait la patine des milliers de verres de rouge partagés entre amis . Assis à ma table, la nappe en damier rouge et blanc fleurait bon la cuisine populaire. Devant moi, un bocal à cornichons, de la moutarde et un pot de gros sel. Quand le serveur m’apporta mon plat de pot-au-feu, je fus littéralement assailli par le fumet. Et quand, une minute plus tard il revint avec une petite assiette contenant deux petites tranches de pain grillé pour accompagner l’os à moelle, je me crus un instant au paradis. La viande et les légumes fondaient sous la langue ; toutes les saveurs se répondaient avec délicatesse comme un couple s’échangeant des mots d’amour avec les yeux. Il n’y avait rien à rajouter, rien à ôter ; tout était parfait.
Je redécouvrais avec ce simple pot-au-feu toute la signification du mot authentique.
Tu devrais donner l'adresse ... rue vignon ?
Rédigé par : Laurent VERMOT-GAUCHY | 12/09/2011 à 21:39
Je vois que tu connais les bonnes adresses, toi ! C'est rue Vignon, en effet, au numéro 34. Et v'là même le plan d'accès pour les amateurs : http://www.cityvox.fr/restaurants_paris/le-roi-du-pot-au-feu_7832/PlanAcces
Bon appétit !
Rédigé par : Jean-Marc à Laurent VERMOT-GAUCHY | 12/09/2011 à 22:21
Tout ce que vous dites est tellement juste...! C'est exactement la même chose au Canada (avec, en plus, au Québec, une cuisine "française" qui recycle le steak frites et le pavé de saumon) : vous comprendrez donc que j'aie presque eu les larmes aux yeux (en plus de l'eau à la bouche) à la fin de votre billet...
Rédigé par : Elseneur | 13/09/2011 à 15:39
Bonjour amie du grand nord,
Et moi qui croyais que le Canada représentait un havre de dissidence par rapport à la déferlante US... Déception...
Le pire dans tout cela, c'est que parallèlement au développement de cette cuisine internationale sans saveur, sans origine et sans odeur, les lieux mythiques de la cuisine américaine se font rare. Se sustenter dans un diner authentique façon Johnny Rockets n'est pas si évident en terre américaine.
Au final, aussi fou que cela puisse paraître, il n'est pas si facile de trouver un bon hamburger aux USA !
Rédigé par : Jean-Marc à Elseneur | 13/09/2011 à 17:28