A l'époque où je me rendais régulièrement à Rome, j'avais coutume - lorsque le temps me le permettait - de faire un tour à l'église Saint-Louis des Français. Pas tant pour l'architecture ou l'office que pour admirer l'un des tableaux les plus puissants du maître baroque Caravaggio, j'ai nommé la vocation de Saint Matthieu. Dans le rai de lumière qui accompagne le doigt pointé de Jésus se déroule le fil d'une destinée extraordinaire qui fera du publicain l'un des quatre évangélistes.
Et puisque nous parlons d'évangile selon Matthieu, il faut savoir qu'il commence par une généalogie inédite de Christ. En effet, contrairement à une coutume consistant à ne considérer que les éléments mâles dans la constitution des arbres de filiation, Matthieu introduit 5 femmes dans la liste des 42 personnes émaillant l'arc générationnel qui va du partriarche Abraham jusqu'à Jésus.
Et quelles femmes ! Il y a d'abord Tamar, la cananéenne qui saura se cacher sous les voiles de la prostitution pour mieux faire appliquer la loi du lévirat par son beau-père Juda. Vient ensuite Rahab, la prostituée dont l'acte de trahison vis-à-vis des siens permettra aux Hébreux de prendre la ville de Jéricho. Puis vient Ruth la moabite, soit encore une étrangère, qui se donnera à Boaz. Bethsabée est la quatrième de ces femmes, qui fera tellement tourner la tête de David qu'il en concevra le meurtre de son mari, le soldat Uri. Et enfin, Marie / Myriam, la mère du Christ.
C'est le destin de ces 5 femmes scandaleuses qu'Erri de Luca décrit dans un petit livre merveilleux publié tout récemment aux éditions La Giuntina. Et comme je n'ai pas voulu attendre la version traduite en français, je me suis rendu toutes affaires cessantes à la Tour de Babel, la librairie italienne de Paris, pour me le procurer et le lire avec avidité.
Comme à l'accoutumée, j'ai été ravi. L'écriture est toujours aussi libre, poétique, déliée.
Et puis cette histoire incroyable. Mettre des femmes dans la généalogie de Christ, là où les autres livres de la Bible ne mettaient en scène que des hommes, donnant aux femmes le rôle subalterne de simples exécutrices d'une volonté négociée entre des mâles et la divinité...
Quelle leçon enfin ! Pas un mot sur les matriarches, les Sarah, Léa ou Rachel, filles d'Israël au destin sage et obéissant... Matthieu leur aura préféré des étrangères aux moeurs parfois bien condamnables. Pourtant, un point commun unit toutes ces femmes : leur courage. Car toutes ont défié la mort ou l'opprobre pour faire triompher leur désir, toutes ont accompli un acte insensé pour parvenir à leur fin.
Et c'est pourquoi je joins ma voix à celle de Erri de Luca quand il dit : "Bravo Matteo a rivendicarle madri di messia, fissando i loro nomi e i loro amori necessari nel tronco benedetto, dal quale non è spuntata l'ultima parola". Soit quelque chose comme : "Bravo Matthieu de les avoir distinguées parmi les mères du messie, bouturant leurs noms et leurs amours nécessaires sur le tronc béni d'où n'est toujours pas sortie la dernière parole".
Les commentaires récents