A Miami, à l'image de ce qu'on retrouve communément dans les villes américaines, l'espace bâti offre un aspect on ne peut plus hétérogène. Très souvent, passé le centre aux tours rutilantes brillant de mille feux, les quartiers avoisinant ressemblent à des entassements de bicoques misérables, ou d'entrepôts sinistres aux murs irréguliers et peints à la vas-y comme j'te pousse. Ici, pas de rideaux de cretonne aux fenêtres, pas de détail attendrissant témoignant du moindre effort d'embellissement. Un ciel souvent en camaïeu de gris bleu s'étend entre de grands poteaux téléphoniques, seuls géants de ce paysage où toutes les ambitions semblent aplaties à la mesure d'une pauvreté sans rémission.
Difficile de croire, à observer les bâtisses alentour, que nous roulions dans le quartier qui monte, le district où se rend tout ce que la ville compte de snobs et de wannabe artists, c'est-à-dire d'artistes en quête de reconnaissance. J'ai nommé Wynwood, à quelques blocs à peine d'Overtown et du Design District.
Et soudain, voilà qu'au détour d'un bloc impersonnel, nous tombons nez à nez sur un entrepôt géant peint de larges zébrures. Le clip de Booba sur "Scarface" me vient tout de suite à l'esprit.
Booba vit à Miami. Dans un de ses raps les plus célèbres, Au bout des rêves, il dit : "J'ai jamais su c'qu'était mon rôle dans la vie / A part être riche, avoir une piaule à Miami Beach". Une bonne punchline, soit une jolie formule, qui cogne sec comme un poing dans la gueule, comme on dirait plutôt en français. Une tournure un rien cynique (ou mieux sinik... private joke, man) et désabusée aussi, un peu comme tout ici où le clinquant le plus artificiel le dispute avec la mistoufle la plus authentique.
Bah, et puis dans le registre du m'as-tu-vu généralisé, valeur si bien partagée d'un côté et de l'autre de l'Atlantique, je pourrai toujours dire que j'ai foulé les pas de M. Booba, dans son antre fleurie et surfaite du sud des Etats-Unis. N'en déplaise à Mister L. et comprenne qui pourra.
Pourtant, en Floride, à côté des constructions prétentieuses où s'étale l'arrogance des hommes, il y a toujours des moments de joie profonde, quand la nature s'invite de façon impromptue au spectacle des vanités. C'est le passage d'une aigrette sur la plage, un paon qui fait la roue au bord de la quatre-voies ou un lamentin qui se prélasse à deux brassées de vous.
L'autre jour, à Wynwood, le moment de magie me fut offert par une passiflore dont le dessin des étamines me rappelèrent la présence fulgurante du nombre d'or. Et puis, je me souvins aussi que cette fleur tirait son nom de l'utilisation que les Jésuites en faisaient pour expliquer la Passion du Christ aux indigènes d'Amérique du Sud : la couronne représentant la couronne d'épine, les cinq étamines désignant les plaies, les trois stigmates renvoyant aux clous...
Une fois de plus, la laideur des environs laissait jaillir un écrin de beauté ; derrière le bitume parsemé de taches d'huile et les murs cradingues, une fleur ouverte indiquait la voie de l'espoir.
Un peu comme dans les paroles de la chanson Au bout des rêves de Booba, puisque juste après le désenchanté "J'ai jamais su c'qu'était mon rôle dans la vie / A part être riche, avoir une piaule à Miami Beach" vient "aider sa mère et l'aimer avec un coeur éternel".
Qui disait que les rappeurs étaient des brutes épaisses aux textes vulgaires et haineux ?
J'entends d'ici la réponse de B2o : Ouais, ouais.
Comme tous ces articles égrenés à un rythme savamment distillé comme dans une longue valse destructrice donnent envie de sejourner à Miami et surtout de prendre la mesure de la pauvreté des relations des gens qui y vivent. En les lisant, on a tout de suite envie de sauter dans un avion Corsairfly pour retourner vite fait à Paris ! Je vais tout particulièrement les recommander à mes visiteurs ! Merci !!!
Rédigé par : Fatima Atkin | 21/05/2012 à 07:35