Cet été, j'ai découvert la ville de la Nouvelle-Orélans. J'ai adoré. Et à chaque fois que je tombe sous le charme d'une cité, je suis pris d'une envie de la découvrir de façon intime, d'en connaître les recoins secrets ou les histoires fondatrices de son identité. Coup de chance, à la Nouvelle-Orléans, contrairement à la plupart des villes américaines, il y a encore des librairies au charme désuet où il est encore possible de chiner tout à son aise.
C'est dans l'une de ces librairies que j'ai découvert un livre exceptionnel de Lawrence Powell décrivant le destin étonnant de cette cité que rien ne prédisposait à exister. Le titre du livre - The Accidental City - dit bien à lui tout seul combien la simple existence de la ville doit tout à l'obstination de quelques individus d'exception, notamment M. Jean-Baptiste Le Moyne, sieur de Bienville, un explorateur au courage insensé et à l'inspiration prodigieuse.
Le livre décrit les 100 premières années de la Nouvelle-Orléans, entre 1718, le moment de la fondation de la cité et 1803, celui de la vente de la Louisiane aux Etats-Unis. Il s'agit d'un parcours historique étonnant à travers lequel on voit tour à tour comment et pourquoi les Français ont choisi le site originel, comment, quelques années plus tard, les Espagnols ont organisé la société au sein d'une cité peuplée d'à peine quelques milliers de personnes et comment enfin les esclaves venus d'Afrique ou des Caraïbes ont cimenté - au sens propre comme figuré - l'identité de la ville. De l'intégration intime de ces trois influences - française, espagnole et africaine - allait naître une manifestation unique aux Etats-Unis : l'identité créole. Contrairement au reste des Etats-Unis où régnait alors une vision hygiéniste de la société reposant sur une séparation nette des communautés raciales, la Nouvelle-Orléans allait devenir la terre de tous les métissages, la ville des paradoxes aussi puisque des esclaves noirs pourraient recevoir salaire pour leur travail, voire dans certains cas, racheter leur condition d'homme libre. Autant d'abominations du point de vue puritain prévalant en Nouvelle-Angleterre ou dans les 13 colonies qui allaient donner naissance aux Etats-Unis d'Amérique. Des abominations qui cimenteraient la justification par l'exemple de l'infériorité morale de ces populations du sud de l'Europe, aux esprits égarés au point de laisser leurs corps copuler avec des femmes noires...
A la Nouvelle-Orléans, au XVIIIè siècle, il régnait donc un parfum de stupre et de luxure d'autant plus capiteux que le métissage était aussi un moyen de promotion sociale. Les Espagnols, sans doute plus rigoureux dans leur gestion de la cité que leurs prédécesseurs français, s'inquiétèrent de l'ampleur du phénomène de fluidité sexuelle et de mélange des identités raciales. En 1785, sous l'administration du gouverneur Esteban Rodriguez Miró, ils promulguèrent une série de lois somptuaires visant à codifier la façon de s'habiller. Afin de réduire le pouvoir d'attraction des femmes noires à la chevelure opulente, ils leur imposèrent le port d'un foulard appelé tignon.
Oui, mais voilà, la nature humaine a de ces revers qui font mon régal. Les femmes de couleur mirent tant d'application et de soin dans le port du tignon, qu'elles attisèrent encore plus le désir et la concupiscence de la population blanche et mâle de la cité. La coquetterie des femmes noires venait d'avoir raison du pundonor sourcilleux des législateurs espagnols. Au point même où le tignon devint une coiffe à la mode au sein de la communauté des femmes... blanches. Ironie du destin : le sceau d'infâmie devenait marque d'élégance - toutes races et positions sociales confondues. Le désir d'ostracisme et de ségrégation cédait gentiment la place devant le caractère impérieux du désir tout court, celui qui enflamme les coeurs et fait perdre la tête devant la beauté des femmes.
Ce que j'aime dans cette histoire, c'est de voir comment, il y a plus de 2 siècles en arrière, à une époque où les idées des Lumières étaient encore faiblement diffusées, la volonté des hommes de restreindre le rayonnement de la beauté féminine s'était brisé devant l'évidence du désir de faire voir et de faire valoir. L'ostentation et la tentation avaient vaincu le puritanisme étroit et la moralité crispée de ceux qui voulaient subordonner les pulsions de chair à la bienséance sociale.
Parfois, je me demande si les débats incessants que nous avons notamment en France sur l'opportunité ou non d'autoriser aux femmes le port du foulard islamique dans les lieux publics ne sont pas vains. A cette enseigne, j'ai adoré la publication dans Le Monde du 14 octobre de photographies de Maryam Rahmanian montrant des femmes iraniennes arrêtées pour port non conventionnel du hijab.
Toutes sont éclatantes de beauté et force est de reconnaître que le foulard islamique ne fait que réhausser cette dernière. En suggérant autant qu'il ne cache, il est bien connu que les voiles recèlent des vertus érotiques auxquelles les hommes, ces grands tartufes, sont loin de rester indifférents.
Maintenant, Mesdames et Messieurs les créateurs de mode, faiseurs de tendances, ou arbitres des élégances, voulez-vous bien rendre service à la cause de ces femmes prisonnières de la peur des hommes ? Etes-vous prêts à montrer l'inanité de ces prétentions mâles cherchant à encastiller cette merveilleuse beauté et sensualité qu'ils ne pourront jamais posséder ? Faites du voile islamique et de ses variations - niqab, burqa ou sitar - des réhausseurs de la beauté féminine... Car croyez moi, le jour où Mme Romney ou Mme Obama porteront aussi fièrement le hijab devant les caméras de télévision, qu'elles n'affichent des habits de couturiers réputés, les intégristes de tout poil trouveront beaucoup moins de justification à imposer à leurs filles, femmes ou compagnes le port de quelque signe de sujétion que ce soit.
Et en libérant les femmes de la sinistre obligation de porter ces tissus d'infâmie, vous aiderez les hommes à s'affranchir de la peur ancestrale qu'ils cultivent à l'endroit de leurs moitiés. En effet, il paraît que le mot hijad signifie rideau ou séparation et que la seule prescription du Coran sur le port du foulard découle d'une interprétation on ne peut plus audacieuse de la Sourate XXXIII, verset 53 : « Et si vous leur demandez (aux femmes du prophète) quelque objet, demandez-le leur derrière un rideau : c'est plus pur pour vos cœurs et leurs cœurs ». Voilà une prescription bien douce et bien lointaine de l'odieuse obligation de faire porter le voile aux femmes. Car enfin, n'est-ce pas derrière le rideau de la pudeur que nous - hommes et femmes réunis - devons laisser s'exprimer nos coeurs quand nous entendons exprimer nos demandes, notamment les plus intimes ?
Derrière le rideau, sous les draps, et les yeux fermés... alors que la femme n'attend que d'accueillir l'amour les yeux grands ouverts, exagérément rehaussés de rimmel...
Rédigé par : Fanny - anosenfants | 28/11/2012 à 22:51
Oui Fanny. Les yeux grands ouverts, embrassant du regard la voûte étoilée pendant que le corps s'abandonne au plaisir.
Voilà une vérité bien dérangeante, ma foi, alors qu'elle tombe pourtant sous le sens.
Rédigé par : Jean-Marc à Fanny | 29/11/2012 à 00:08