A Miami, après plusieurs années de jachère, l'immobilier reprend du poil de la bête. Les programmes fleurissent à nouveau et les grues reprennent place dans le paysage après s'être repliées pendant plusieurs années sur le seul site du port, lieu mythique de naissance du jeune Dexter.
Mais avec la renaissance des tours, la valse des chiffres reprend ses droits comme en témoigne le panneau de présentation de ce programme de luxe, à Coconut Grove, à quelques miles au sud du centre de Miami.
En lisant attentivement tous les attributs, une vague tristesse m'étreint. Je me souviens alors de Saint-Exupéry décrivant avec force détails l'astéroïde B 612 où vit le Petit Prince. Juste après sa description, l'auteur remarque :
"Si je vous ai raconté ces détails sur l'astéroïde B 612 et si je vous ai confié son numéro, c'est à cause des grandes personnes. Les grandes personnes aiment les chiffres. Quand vous leur parlez d'un nouvel ami, elles ne vous questionnent jamais sur l'essentiel. Elles ne vous disent jamais: "Quel est le son de sa voix ? Quels sont les jeux qu'il préfère ? Est-ce qu'il collectionne les papillons ?" Elles vous demandent: "Quel âge a-t-il ? Combien a-t-il de frères ? Combien pèse-t-il ? Combien gagne son père ?" Alors seulement elles croient le connaître. Si vous dites aux grandes personnes: "J'ai vu une belle maison en briques roses, avec des géraniums aux fenêtres et des colombes sur le toit..." elles ne parviennent pas à s'imaginer cette maison. Il faut leur dire: "J'ai vu une maison de cent mille francs." Alors elles s'écrient: "Comme c'est joli !" " - Le Petit Prince, chapitre IV.
Dans les prospectus de réclame, les promoteurs du programme immobilier mettent en exergue le fait que Tennessee Williams a vécu à Coconut Grove. En 1956, il y aurait même fait jouer "Un tramway nommé désir". Voilà encore une bien étrange association. Et c'est l'esprit confus et embrumé, que je rentre chez moi en me demandant ce que le dramaturge des passions sordides et des désirs souterrains aurait pensé du fantasme d'opulence et de cette hubris de possession...
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