Il vient de prendre Aqaba à revers après avoir traversé le désert du Nefud avec une troupe de bédouins enhardis par la promesse d'une razzia sur l'or de la ville. Mais voilà. There is no gold in Aqaba. Juste des papiers qui volent au vent comme le sable des dunes toutes proches. Alors, il entreprend de revenir au Caire pour demander aux autorités militaires britanniques d'honorer sa promesse vis-à-vis des chefs de guerre arabes. Au prix d'une nouvelle traversée contre une nature hostile, celle du Sinaï cette fois, il parvient à bout de forces sur les bords du canal de Suez. En face, l'Egypte et l'assurance de pouvoir parlementer avec les hauts gradés de la couronne. Une moto passe sur la rive opposée, conduite par un militaire britannique. Elle s'arrête. Le soldat hurle pour couvrir le souffle du vent. C'est une question qui parvient aux oreilles de l'homme le plus fou et le plus téméraire de la première guerre mondiale. Une question où s'épelle toute l'indifférence du monde devant l'exploit insensé qu'il vient de réaliser : "Who are you ?"
L'espace de quelques secondes, le regard de Peter O'Toole se fige. Derrière l'épuisement physique se lit le désespoir de celui à qui vient d'être révélée, en trois petits mots anodins, l'inanité de toute quête d'identité. Peut-être qu'à ce moment précis, l'acteur, pris dans une réaction d'orgueil implacable, entend-il résonner au fond de son coeur les paroles du héros qu'il incarne :
"Tous les hommes rêvent mais pas de la même façon. Ceux qui rêvent de nuit, dans les replis poussiéreux de leur esprit, s'éveillent le jour et découvrent que leur rêve n'était que vanité. Mais ceux qui rêvent de jour sont dangereux, car ils sont susceptibles, les yeux ouverts, de mettre en oeuvre leur rêve afin de pouvoir le réaliser. C'est ce que je fis."
Resquiecat in pace, M. O'Toole. Et merci d'avoir si admirablement immortalisé par votre jeu divin la folie généreuse du dernier chevalier de guerre qu'aura sans doute connu l'humanité depuis sa création : T.E. Lawrence.
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