
A l'entrée de l'exposition Van Gogh vu par Artaud qui se donne en ce moment au musée d'Orsay, il y a ce tableau de chaise, pompeusement désigné sous le titre "Le fauteuil de Gauguin". Le siège est fait de paille tressée ; le piètement est à la limite du bancal et le dévers est on ne peut plus exagéré. Cette chaise-là ne peut pas tenir dans la réalité et pourtant, elle nous suggère une histoire, un drame, celui de l'attente anxieuse au mitan de la nuit, un désir, mais aussi la prémonition du drame à venir.
"Un bougeoir sur une chaise, un fauteuil de paille verte tressée,
un livre sur le fauteuil,
et voilà le drame éclairé.
Qui va entrer ?
Sera-ce Gauguin ou un autre fantôme ?"
Un peu plus loin, Artaud souligne : "Van Gogh pensait qu'il faut savoir déduire le mythe des choses les plus terre-à-terre de la vie. En quoi je pense qu'il avait foutrement raison".
Et puis il y a cette couleur violette qui "mange les barreaux du fauteuil torve, du vieux fauteuil écarquillé de paille verte". Cette couleur qu'Artaud qualifie plus loin de roturière, tant elle est rupture d'un côté et si "amoureusement juste qu'il n'y a pas de pierres précieuses qui puissent atteindre sa rareté".
J'ai toujours été intrigué par la façon dont nous nous asseyons. Car il serait trop facile de croire que nous trimballons notre cul en toute impunité, sans porter la plus grande attention à ce que nous en faisons. Demandez un peu à Rosa Parks (paix à son âme !) ce qu'il lui en a coûté de poser son séant sur des sièges non disposés à en épouser les formes...
Et puisque nous parlons de cul, je voudrais terminer sur cette expérience déplorable à laquelle je me suis retrouvé confronté bien contre mon gré vendredi soir, alors que je dégustais un couscous merguez des familles. En face de moi, une télé géante - ça devient de plus en plus la règle dans les bars et brasseries de la ville. La chaîne diffuse un "spécial Rihanna". Et là, pendant une heure entière, je subis les déhanchements saccadés de la reine du R&B, ses simulations à peine voilées de coït, ses trémoussements obscènes soigneusement étudiés pour être proposés sans vergogne à tous les publics, ses jeux de cul qui lui vaudraient assurément une place de choix dans des cabarets à deux balles.
La vision roturière du monde d'un Van Gogh ne pouvait que choquer les gens éduqués de la fin du XIXème siècle. Un peu plus d'un siècle plus tard, leurs descendants toujours aussi peu sensibles à la palpitation sensible du monde nous servent de la vulgarité au kilo soigneusement exhibée à coups de gros nichons et de convulsions de postérieur.
De la paille tressée du fauteuil de Gauguin à la taille pressée de la belle Rihanna, quel est le sens du chemin parcouru ?
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