Sur l'arrière du temple Santo Domingo de Guzman d'Oaxaca au Mexique, il y a un double lieu magique : l'hémérothèque et le jardin ethnobotanique.
Les hémérothèques sont des espaces publics où le tout venant peut venir consulter les journaux. Leur nom est mal choisi puisque, en traduisant littéralement les deux racines à l'origine du mot-valise hémérothèque, on trouve l'idée de jour (héméro-) et de boîte, de lieu de conservation (-thèque). Le choix d'éphémérothèque, à la lettre lieu de conservation de ce qui ne dure qu'un jour, eût sans doute été plus judicieux. Mais voilà. Quand on joue avec le fugace, il ne faut pas s'étonner qu'on perde des choses en passant.
C'était pour moi la première fois que je rentrais dans une hémérothèque. Elle était pleine et le recueillement y avait l'épaisseur d'une mousse cotonneuse. Aux murs figuraient des affiches des grands révolutionnaires mexicains comme Zapata ou les manchettes des événements les plus retentissants du pays : la mort criminelle de Léon Trotsky ou encore l'annonce de la victoire de Puebla. Le papier des pages effeuillées craquait d'avoir été trop peu touchées par la main de l'homme et trop abreuvées de la lumière impérieuse du sud mexicain. Je restais quelques minutes entre les travées, tout au plaisir de contempler l'amaril du papier vieilli. Quelle étrange sensation que de se balader dans un lieu consacrant de la façon la plus paradoxale l'union du passager - le journal - et de l'intemporel - l'archive !
En sortant de l'hémérothèque, se déploie, sur ce qui était originellement le couvent des moines Dominicains, puis au fil de l'histoire troublée du pays, une garnison militaire et a failli devenir un hôtel aux prétentions luxueuses, un autre type de lieu où je n'avais encore jamais mis les pieds : un jardin ethnobotanique. Ce jardin doit tout à l'entêtement de Maestro Francisco Toledo, un artiste de renom international, natif de la belle ville d'Oaxaca. C'est lui qui a mené la fronde contre les magnats du tourisme de masse pour que la mairie consacre ce lieu aux rapports millénaires entre les hommes de la région et les plantes.
Et quels rapports ! 10.000 ans de patience humaine pour "enseigner" au nopal qu'il doit perdre ses épines pour devenir un aliment sur cette terre d'une sècheresse désespérante. Le sacrifice des agaves à la faim dévorante des cochenilles pour développer le commerce de ce beau colorant naturel rouge dont la rareté et l'éclat excitait la convoitise des puissants de l'Europe de la Renaissance. Le culte millénaire de la ceiba (le kapokier) censé servir de courroie de transmission entre le ciel, lieu de résidence des dieux, la terres des vivants et l'infra-monde bruissant du rêve des âmes mortes. Pendant le court temps passé à déambuler entre les espèces végétales les plus représentatives de la région d'Oaxaca, je fus emporté dans un parcours onirique embrassant des siècles de transmission de gestes d'amour prodigués par les hommes à l'endroit des plantes. L'hémérothèque m'avait fait échouer sur le rivage d'une île de conversation de l'éphémère ; tel Ulysse quittant les bras de Circé, je me trouvais désormais désarmé, plongé dans l'admiration d'espèces à la vie parfois fugace, mais dont la seule vue me renvoyait à des histoires couvrant des dizaines de siècles.
Dans un cas comme dans l'autre, je fus emporté par une belle sensation de vertige. Et dire que je n'ai même pas eu à m'abandonner au mezcal, comme Malcolm Lowry, ce soulographe invétéré auteur d'Au-dessous du volcan, lui aussi tombé en amour devant les charmes intemporels d'Oaxaca.
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