Dans mon billet précédent, je partageais avec vous un certain nombre de divagations autour du carré magique de la Sagrada Familia de Barcelone en mettant l'emphase sur le nombre 33, correspondant à la somme constante de chacune des colonnes, lignes et diagonales du carré.
Je m'étonnais aussi du choix qui avait conduit Josep Maria Subirachs, le sculpteur, à doubler le 14 et le 10, là où un nombre très large de possibilités s'offrait à lui pour "réduire" à 33 le fameux carré de Dürer, d'une valeur de 34 et présentant la caractéristique de faire figurer une et une seule fois l'ensemble des chiffres et nombres allant de 1 à 16. Pourquoi la répétition de ces deux nombres en particulier ?
En général, je ne crois pas à l'omniprésence de la volition dans ce que vois. Je serais plutôt du genre grand apôtre du fortuit et observateur amusé de coïncidences. Mais là, le fait que les deux nombres faisant l'objet d'une répétition soient côte à côte devait me troubler au point de penser que le sculpteur avait voulu faire passer un message.
Alors de quel message pourrait-il s'agir ?
Lors de la visite du portail de la Passion, j'avais remarqué sans trop y prêter attention que le sculpteur avait associé à chacune des représentations un rappel au texte sacré sous la forme d'une légende taillée en creux à même la pierre. Et j'avais observé que la plupart de ces inscriptions renvoyaient à l'Evangile selon Saint Matthieu. A tout hasard, je fais donc un tour sur les Evangiles, recherche le verset 14:10 et là je lis : " et il envoya décapiter Jean dans la prison ". Le "il" de la sentence renvoie à Hérode et le Jean n'est autre que Jean le Baptiste, celui qui administra le sacrement du baptême à Jésus, dans les eaux du Jourdain, celui qui fut le premier à reconnaître la sainteté de Christ dans cette scène admirable de la Visitation de Marie à Elisabeth.
Et là, je me fais le raisonnement suivant. Subirachs a placé le carré magique devant la scène où Judas condamne Christ aux yeux des soldats par le baiser qu'il lui administre. Le verset 14:10 annonce la décapitation de Jean-Baptiste. Deux annonces de mort offrant un contrepoint parfait à la scène de la Visitation où les deux enfants, conçus mais encore non nés, devaient se reconnaître par delà la pellicule formée par le ventre de leurs mères respectives. De la prison de chair constituée par les ventres de Marie et d' Elisabeth à la prison de fer d'Hérode et de Ponce Pilate, nous voici projetés soudain dans un parcours fulgurant entre le commencement, marqué par la douceur des femmes et la fin, illustrée par la trahison de l'ami, la rudesse des soldats et la lâcheté des hommes de pouvoir. C'est un splendide raccourci qui nous fait parcourir l'arc temporel entre l'alpha et l'oméga.
Et comme nous nous trouvons engagés dans un voyage sotériologique, je laisse le mot de la fin à l'apôtre Jean et sa fameuse Apocalypse 22:13, où il est dit :
Je suis l'alpha et l'oméga, le premier et le dernier, le commencement et la fin.
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PS : Et pour ceux qui cultivent le goût des coïncidences étranges sous forme d'échos et de contrepoints, je ne peux me résoudre à vous épargner cette observation. Le verset qui suit celui présenté ci-dessus (Apocalypse 22:14) dit :
Heureux ceux qui lavent leurs robes, afin d'avoir droit à l'arbre de vie, et d'entrer par les portes dans la ville !
Ne fait-il pas résonance avec Matthieu 10:14, (tiens, encore le 10 et le 14) où il est écrit :
Lorsqu'on ne vous recevra pas et qu'on n'écoutera pas vos paroles, sortez de cette maison ou de cette ville et secouez la poussière de vos pieds.
Un exil forcé au commencement, couronné par un retour à la cité, à la fin, assorti de la découverte de l'arbre de vie.
Là encore, quelle splendide mise en correspondance.
Alpha et Oméga.
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