Depuis que je suis rentré de notre voyage à La Havane avec ma belle, je ne compte plus les appels d'amis me disant qu'ils adoreraient y aller, que la ville figure en haut de leur "bucket list", c'est-à-dire en bonne place dans l'éventail des destinations qu'ils aimeraient couvrir, histoire de ne pas mourir idiot. Et ils ne manquent jamais de rajouter qu'ils souhaiteraient y aller avant que l'Oncle Sam ne vienne dénaturer l'île à coup de resorts, de malls et de fast food.
Pourtant, au risque de les soumettre à une douche glaciale, je leur réponds qu'il faut qu'il s'attendent à être violemment déçus une fois sur place.
Tous partagent une image très romantique de la cité cubaine : une balade main dans la main sur la jetée - le fameux Malecón - des soirées muy caliente dans des clubs où la sonorité saturée des cuivres couplée à la saveur des rhums et aux volutes envoûtantes de Cohiba ferait perdre la tête à un engourdi des sens, des femmes aux croupes sublimes et renversantes, des hommes fins et élégants aux muscles découplés laissant imaginer des étreintes sauvages si bien décrites par Pedro Juan Gutiérrez, les almendrones, ces belles américaines aux chromes rutilants, vestiges d'un temps où Detroit savait encore faire des belles voitures... La liste est longue, mais je suis sûr que vous vous reconnaissez déjà dans ce rapide éventail de stéréotypes. Quant à moi, j'ai beau faire le mariole, je dois confesser que lorsque je débarquai à l'aéroport international José Martí de La Havane, je ne me distinguais en rien de la meute tant ce même florilège d'images peuplait ma tête au point d'obstruer mes capacités élémentaires d'observation.
Car quelle déception, mes aïeux !
A peine arrivés et installés à l'hôtel - et pas n'importe lequel, mes amis, puisque nous avions décidé de passer nos premières nuits au Nacional, cet autre emblème porte-clé de la cité - que nous nous précipitions tout excités pour découvrir la ville. Un coup de taxi et hop ! Direction place de la cathédrale, dans la vieille ville aux allures coloniales. Et en passant par le bord de mer, por favor, compañero. Car nous voulons nous en mettre plein les mirettes en longeant le Malecón. Et que ça saute ! No conviene demorarse...
Alors que notre chauffeur s'engage sur la jetée mythique de La Havane, ma belle et moi étirons notre cou pour imaginer la vie qui bat dans le coeur de la cité caraïbe. Mais voilà... Ce ne sont que ruines, décombres, bâtiments art déco à la splendeur révolue, croulant sous le poids de décennies d'incurie. Des belles bâtisses coloniales au style espagnol, il ne reste bien souvent que des lambeaux d'armatures métalliques, des persiennes rongées par l'humidité tropicale et mangées par une végétation conquérante... Notre horizon se résume à un champ de ruines, des monceaux de gravats.
Mais qu'est-ce qui s'est passé ? Quel cataclysme s'est abattu sur la ville sans que nous n'en ayons été tenus informés ?
Ma belle et moi évitons de nous regarder. Cela fait trop mal ; la déconvenue est trop profonde. Alors nous nous taisons. Quelques jours plus tard, lorsque nous aurons pu libérer à nouveau notre parole du poids de notre désillusion initiale, nous reconnaîtrons avoir eu la même idée de faire machine arrière toute, de reprendre incontinent un avion vers le monde riche pour oublier au plus vite cette vision apocalyptique d'une ville laissée à l'abandon et à la déchéance.
Trois semaines plus tard, pourtant, c'est presque la larme à l'oeil que nous quittons La Havane. Car, entretemps, la Cité des colonnes d'Alejo Carpentier nous aura conquis en nous dévoilant jour après jour, par petites touches, des charmes que nous étions bien loin d'imaginer le premier soir, quand notre taxi zigzaguait entre les nids de poule d'un Malecón défoncé. Mais ça, c'est une histoire que je compte vous raconter tout doucement, à petits pas, dans les semaines qui viennent.
Manténganse al tanto.
Ceci est un test pour vérifier que les commentaires marchent.
Rédigé par : Jean-Marc Bellot | 25/08/2016 à 23:46