Cela fait maintenant un peu plus de 48 heures que je suis à Bombay. Et tout ici m'émerveille. Mais parmi les choses qui m'ont le plus frappé depuis mon arrivée, il y a cette aptitude extraordinaire des Indiens à transformer le chaos et sa brutalité intrinsèque en mouvement fluide et paisible.
Depuis mon arrivée, j'en eu un paquet de petits problèmes. A commencer par le blocage de l'ensemble de mes effets de valeur dans le coffre de ma chambre. Après avoir averti la réception de mon infortune, je vois arriver une première personne. Au bout de 2-3 minutes, sans mot dire, le technicien passe un coup de fil. Dans les 2 minutes qui suivent, une autre personne arrive. Puis une troisième... Au bout de 10 minutes, ma chambre est remplie d'Indiens qui se chamaillent sur l'art et la manière de traiter le problème. La situation me paraît d'autant plus désespérée que mes invités ont cessé de m'adresser la parole dans cet anglais des tropiques aux accents aussi inimitables que chantants. C'est dans un sabir incompréhensible pour moi qu'ils se disputent allègrement. A ce stade, je me dis que c'est vraiment mal parti...
Pourtant, soudain, après ce vif échange de points de vue, le silence se fait. Et là, il ne faut pas plus de 2 minutes pour qu'un technicien vienne vers moi et, dans un anglais redevenu courtois, m'indique que je peux récupérer mes affaires jusque là bloquées dans le coffre-fort.
Je n'en reviens pas. Il n'aura fallu qu'une quinzaine de minutes au total pour régler un problème qui, dans mon pays, aurait sans doute été résolu en 24 heures. Au bas mot.
Et comme toujours depuis que je suis arrivé, je suis surpris par la façon dont les choses se passent. J'ai même l'impression de voir se dessiner une séquence d'événements récurrente, presque un rituel de résolution de problèmes. Au début, les gens affluent. Très vite, ils bloquent tout, se prennent à parti avec véhémence, dans un concert de voix où chacun y va de son opinion. Puis, comme par enchantement, une solution émerge et là, c'est comme si chacun mettait un voile sur ses prétentions initiales pour jouer sa partition avec délicatesse et harmonie. Et c'est dans un mouvement coordonné et fluide que la situation apparemment bloquée se dénoue.
Pour mieux appréhender - à défaut de comprendre - cette façon unique qu'ont les Indiens de résoudre les problèmes, je ne vois pas meilleure métaphore que l'observation attentive des mouvements de circulation dans les rues. La première impression, c'est que ça ne peut pas marcher : quand on voit que les marchands et piétons disputent la chaussée aux vélos, aux motos, aux mobylettes, aux voitures, aux cars et surtout aux très nombreux pousse-pousse motorisés à trois roues - autorickshaws - on se dit que tout cela va finir dans un joyeux embouteillage aussi difficile à dénouer qu'un noeud gordien. Et pourtant, non... Au moment où on se dit que cette fois, ils vont tous se neutraliser mutuellement et s'immobiliser pour de bon, le mouvement reprend. Un peu comme si, pour les Indiens, il fallait flirter avec le chaos pour réinventer, à chaque seconde, les vertus du mouvement. Ici, le flux me fascine.
Et pour celles et ceux d'entre vous qui voudraient se faire une idée de ce que j'entends, je vous invite à regarder ce documentaire de l'INA sur les mouvements de circulation dans les quartiers populaires de Bombay :
Hallucinant, non ?
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