A toi, mon cher concitoyen, qui voteras pour Madame Le Pen, dimanche prochain, je voudrais t'écrire cette lettre.
Dimanche prochain, tu iras voter. Et si j'en crois ce que tu m'as laissé entendre, tu as décidé de donner ta voix à Madame Le Pen.
Voter c'est donner une voix. C'est donner ta voix. En un mot, c'est une autre façon de "dire", c'est remplir l'espace public avec un son, un son qui vient de ta bouche, qui porte le signe de ta responsabilité et de ton individualité. Ce son, il produit une musique. Une musique faite de tous les sons de ceux qui, comme toi, depuis longtemps déjà, partagent les idées défendues par Madame Le Pen et les partisans du Front National.
Cette musique, mon cher concitoyen, est née il y a très longtemps. Veux-tu faire avec moi le chemin qui remonte à sa source ? Oh, tu verras, c'est un chemin bien moins escarpé qu'il n'y paraît. Et puis, c'est important les sources, car si j'en crois Madame Le Pen elle-même, il est important de se rattacher aux valeurs de la patrie, une patrie plus que millénaire maintenant, la France, ce pays qui étire ses racines dans un passé lointain remontant à la propagation de l'idée chrétienne en Europe. Tu verras, le chemin que je te propose est beaucoup plus court que celui dont parle Madame Le Pen.
Il commence par une filiation simple. La candidate à qui tu comptes donner ta voix est la fille de M. Jean-Marie Le Pen. Ca, je suis sûr que tu le savais déjà. Et c'est M. Jean-Marie Le Pen qui a fondé en 1972, il y a 45 ans, le parti appelé Front National. Comme tu le vois, c'est un vieux parti. Oh, pas aussi vieux que le Parti Socialiste ou le Parti Communiste, mais bien plus vieux que Les Républicains.
Ce parti n'est pas né comme ça. Il est l'émanation d'un mouvement qui ne te dira peut-être rien et qui s'appelait Ordre Nouveau. Le credo d'Ordre nouveau, c'était « la renaissance du patriotisme, la promotion d'une hiérarchie des valeurs, ainsi que la restauration familiale et éducative ».
Tu noteras au passage l'utilisation des mots "patriotisme", "valeurs", "hiérarchie", "restauration", "famille", "éducation". Ce sont ces mots que tu retrouves aujourd'hui portés par la voix de Madame Le Pen, répétés à l'envi. Ces mots sont beaux. Ils sonnent bien. Tu vois maintenant d'où ils viennent.
Mais Ordre Nouveau n'est pas né tout seul non plus. Le mouvement a aussi sa petite histoire. Il est né d'un autre mouvement qui s'appelait Occident.
Fondé en 1964, Occident reproduisait un discours classique d'extrême droite, venu tout droit des années 1920-1930, où l'on discerne l'héritage de Charles Maurras. Les publications d'Occident dénonçaient alors la démocratie. Occident rejetait « le mythe de l'élection », qui aurait dû, selon eux, être remplacé par la « sélection des meilleurs éléments de la communauté populaire, en vue de constituer une nouvelle élite, fondée sur le mérite et les talents ». Une sorte de vision aristocratique du monde, en somme, bien loin de l'idéal démocratique. Et plus loin dans la profession de foi d'Occident, tu trouvais des phrases comme : « Les nationalistes français constituent contre la république maçonnique et ploutocratique le Parti de la Nation française, le Parti de la seconde Révolution française, qui abolira les effets néfastes de la première » Ploutocratique, cela veut dire "gouverné par l'argent". Ca c'étaient les mots qu'on employait à l'époque. On était plus proche alors du grec ancien, que de l'anglo-américain. Mais là je m'égare. Pour revenir à nos moutons, ce discours de condamnation de l'argent ne te rappelle-t-il pas la façon dont Madame Le Pen vilipende son vis-à-vis du deuxième tour, Monsieur Macron, au nom de l'argent justement et de son passé de banquier en particulier ? A propos des banquiers encore, as-tu entendu la façon dont Monsieur Collard, un des cadres dirigeants du FN d'aujourd'hui, les a évoqués hier ?
Occident se réfère alors volontiers à l'écrivain Robert Brasillach (fusillé en 1945 pour collaborationnisme), se montre ouvertement raciste, célèbre les vertus du « sang » (« Le sang obsédera toujours l'esprit humain, sang mystique du Christ, sang biologique de la fécondation, sang commun à tous les peuples d'Europe » écrit Occident université, n° 6, ). Occident exalte l'« ethnie française », et affirme : « Pervers et nuisible sous toutes ses formes, le libéralisme est l'ennemi le plus dangereux du nationalisme ». Tiens, là encore, vois-tu le lien entre l'anti-libéralisme d'Occident et la volonté de fermer les frontières exprimée par la voix de Mme Le Pen, aujourd'hui ?
A l'époque, on appelait un chat un chat. Et n'en déplaise à Monsieur Brassens, on se battait souvent dans la rue pour des idées. A l'époque, Occident ne reniait pas le terme « fasciste ». Regarde ce qu'ils disaient : « Dans toutes les démocraties, la jeunesse s'ennuie, et dans toutes les démocraties, il y a des “blousons noirs”. Alors que dans les pays qualifiés de “fascistes”, il n'y en a jamais eu. Cela tient au fait que tout fascisme est l'expression d'un nationalisme, qui seul peut cristalliser la volonté de la jeunesse en un immense élan révolutionnaire ; le nationalisme, c'est la jeunesse au pouvoir. » Tu sais, les fascistes ont toujours eu besoin de deux ennemis pour faire prospérer leurs idées : un ennemi extérieur aux frontières - c'est l'étranger - et un autre, plus pervers, plus difficile à démasquer, car il vit dans le même espace que nous et fait tout pour ne pas se faire repérer. Hier, cet ennemi de l'intérieur portait pour nom le Youpin (Feuj en langage d'aujourd'hui) ou le Bicot (Rebeu).
Oh, tu penses que j'exagère ? Tu penses que je diabolise Madame Le Pen et son parti ? Tu penses que les 7,5 millions d'électeurs qui ont donné leur voix à Madame Le Pen ne peuvent pas être tous fascistes, que tout cela n'est que diffamation de ma part ?
Alors, si tu es arrivé jusque là dans ta lecture de mon papier, prête-moi encore un tout petit peu d'attention pour une dernière information. Tu sais, lorsque Monsieur Le Pen a créé le Front National en 1972, il n'était pas seul. Parmi les membres fondateurs, il y avait des gens comme Léon Gaultier, alors professeur d’histoire, ancien membre de la Waffen-SS, Pierre Bousquet, secrétaire général du Parti de l'unité française et ancien de la division SS Charlemagne, Emmanuel Allot dit François Brigneau, ancien sympathisant socialiste membre du Parti frontiste puis milicien, condamné pour collaboration avec les nazis, puis à Ordre nouveau, journaliste à Minute et au Crapouillot, François Duprat, journaliste et ancien d'Ordre nouveau, diffuseur du négationnisme, assassiné en 1978. Il y avait aussi d'anciens communistes et même des anciens résistants. Mais leur proportion était faible au regard des autres fondateurs qui, pendant les années sombres de notre pays, entre 1940 et 1945, avaient décidé de faire le jeu des ennemis de la France, j'ai nommé l'Allemagne nazie.
Je ne cherche pas à te convaincre, car je suis sûr que tu te prépares à voter en ton âme et conscience. La seule chose que je te demande, mon cher concitoyen, c'est de te souvenir qu'au moment où, dans l'isoloir, tu voteras, tu donneras ta voix et qu'en donnant ta voix, tu donneras aussi de la voix. Cette voix que tu donneras viendra se fondre dans le concert de voix, plus vieilles que la tienne, des voix qui, en ces temps-là où toi et moi avons trouvé la source des idées du FN, entonnaient à Nuremberg ou à Vichy des chants de guerre et appelaient de leurs voeux la destruction de la France en particulier et de la démocratie en général.
Ecoute la musique que fera ta voix dans l'isoloir le 7 mai prochain.
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