Dans une conférence donnée en 1995 à New York par Umberto Eco sur le thème " Reconnaître le fascisme " et récemment publiée chez Grasset, l'érudit dresse la liste des 14 points qui permettent de distinguer cette idéologie. Cette liste va du culte de la tradition fait d'un syncrétisme de symboles puisés à de multiples sources, au refus du modernisme, en passant par l'appauvrissement de la langue, l'exaltation de la guerre permanente justifiée par la présence d'ennemis intérieurs et extérieurs particulièrement vicieux, le mépris des faibles et la fascination de l'ordre.
Mais ce qui m'a le plus plu dans ce petit livre, c'est une petite histoire qu'Umberto Eco raconte en guise de conclusion.
"Le matin du 27 juillet 1943", nous dit-il, "j'appris que la radio avait annoncé la chute du fascisme et l'arrestation de Mussolini. Ma mère m'envoya acheter le journal. J'allai au kiosque le plus proche. Là, je vis que des journaux, il y en avait beaucoup, mais qu'ils avaient tous des noms différents. En outre, après un bref coup d'oeil aux titres, je m'aperçus que chacun disait des choses différentes. J'en achetai un, au hasard, et je lus un message publié en première page, signé par cinq ou six partis politiques, la Démocratie chrétienne, le Parti communiste, le Parti socialiste, le Parti d'Action, le Parti libéral. Jusqu'alors, je croyais qu'il n'y avait qu'un seul parti par pays et qu'en Italie, c'était le Parti National Fasciste. Je découvrais que, dans mon pays, il pouvait y avoir différents partis en même temps. Plus encore : comme j'étais un petit garçon éveillé, je me dis que tant de partis n'avaient pu naître du jour au lendemain. Je compris qu'ils existaient déjà sous forme d'organisations clandestines.
Le message célébrait la fin de la dictature et le retour de la liberté : liberté de parole, de presse, d'association politique. Ces mots, liberté, dictature - mon Dieu - le les lisais pour la première fois de ma vie. Grâce à ces nouveaux mots, je renaissais en tant qu'homme libre occidental."
Quant à moi, en lisant cette petite histoire d'un enfant né sous le fascisme, je me suis dit que la meilleure façon d'éviter de sombrer dans cet obscurantisme de la pensée, c'était de ne pas donner à ses tenants la chance d'exercer le pouvoir.
A bon entendeur...
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