Quand je vais à Madrid et que mon agenda me le permet, je ne manque jamais de faire un tour au musée du Prado. Et c'est chaque fois un ravissement garanti. Mais ce que je trouve étrange, c'est que à chacun de mes passages (je dois en être maintenant près du dixième), je découvre quelque chose de résolument nouveau.
Cette fois-ci, ce qui devait me frapper de plein fouet, c'est combien les grands peintres du XXème dont on sait combien ils ont voulu s'affranchir de la peinture de leurs pères en basculant progressivement dans le non figuratif en sont en réalité les dignes héritiers. Oui, j'ai été ahuri de découvrir que ce qui faisait l'originalité des Cézanne, Picasso, Dali ou autres Botero, ce qui rendait leur signature unique et inimitable, prenait sa source dans l'oeuvre de maîtres qui les avaient précédé de plusieurs siècles.
Des exemples ?
En voici trois qui me sont apparus avec la force d'une révélation paulinienne.
Le premier provient du fameux Jardin des Délices de Jérôme Bosch (El Bosco). Dans son fameux triptyque, le paradis figure sur le panneau de gauche. Et là, je tombe sur un détail auquel je n'avais, jusque là, pas prêté attention. Alors que tout n'est que paix et sérénité et que le coupe composé d'Adam et Eve semble goûter simplement aux délices du jardin d'Eden aux côté du Créateur, on peut voir sur la partie gauche un groupe d'insectes étranges gravir une forme non moins surprenante. A premier plan se détache un scolopendre hideux.
En observant ce détail, je ne peux m'empêcher d'imaginer le profil d'un visage masculin. Mieux, ce visage, je le reconnais entre tous : celui de Salvador Dali.
Puis les choses s'emballent dans ma tête. Je vois alors le "visage" du tableau de Bosch littéralement piquer du nez sur la gauche. Une nouvelle image s'impose à moi : celle du Grand Masturbateur de notre ami Dali toujours. Vous ne trouvez pas la ressemblance troublante ?
Vous pensez que c'est moi qui me masturbe les méninges ? C'est possible.
Alors quittons Jérôme Bosch et ses représentations surréalistes avant l'heure et continuons la visite. Je vous propose de marquer un temps d'arrêt devant les oeuvres du grand siècle espagnol, celui des Diego Velazquez, Francisco de Zurbaran, José de Ribera, Alonso Cano, ou Bartolomé Esteban Murillo.
Après une révérence obligatoire devant les Ménines, je passe dans la salle consacrée aux nains et autres êtres difformes que les peintres baroques adoraient représenter. Et là je tombe sur le tableau de pied d'une enfant de moins de 10 ans à qui une obésité précoce donne des airs de douairière austère. C'est le portrait d'Eugenia Martinez Vallejo de Juan Carreño de Miranda.
Et là, vous ne trouvez pas que c'est du Fernando Botero avant l'heure ?
Ah ! Je vous vois sourire...
Mais le temps presse. Je vais rendre un hommage rapide mais profond à Goya, l'homme qui aura su magnifier dans ses peintures et gravures, aussi bien la beauté de la vie que les horreurs de la guerre.
Avant de quitter le musée, je m'arrête à la librairie du musée, feuillette un ouvrage consacré au Greco et tombe sur une oeuvre de lui que je ne connaissais pas : la Vision de Saint-Jean quand ce dernier ouvrit le cinquième sceau. Et pour cause, il n'est pas exposé au Prado, mais au MET à New York.
Là encore, comme sous l'effet d'un flash, je ne pus m'empêcher de voir dans le geste de soumission de l'apôtre Jean, le geste d'appel à la pitié du fusillé du 3 de Mayo de Goya :
Puis, passé ce premier moment de surprise, je me mis à examiner au centre du tableau un groupe de baigneuses composant un ensemble des plus harmonieuses :
Là, je ne pus m'empêcher de voir défiler devant mes yeux de nombreuses toiles comme les Baigneuses de Cézanne...
... ou encore les fameuses Demoiselles d'Avignon :
Devant cette foison de correspondances, je décidai que j'avais eu mon compte d'émotions et de beauté.
Je sortis alors dans le froid de novembre pour me régaler d'un plat de jamon de bellota accompagné d'un verre de Ribera del Duero.
Commentaires