Durant la Seconde Guerre mondiale, Picasso, qui vivait rue des Grands Augustins à Paris, reçut la visite d'Otto Abetz, l'ambassadeur nazi. Ce dernier lui aurait demandé devant une photo de la toile de Guernica (alors conservée à New York au MoMA) : « C'est vous qui avez fait cela ? », Picasso aurait répondu : « Non… vous. »
L'échange est bien connu. Pourtant, en me rendant récemment à l'exposition consacrée au fameux tableau au musée Picasso, je me suis rendu compte que derrière le trait d'esprit, la réponse du peintre n'allait pas de soi.
Rappelons rapidement les faits.
Début 1937, Picasso accepte de la part des représentants officiels de la jeune république en guerre, la commande d'un tableau devant occuper un mur entier du pavillon espagnol de l'exposition universelle de Paris qui va se tenir du 25 mai au 25 novembre entre Trocadéro et Champ de Mars. Pendant de longs mois, le peintre peine. Et même si, vers le mois d'avril, on voit apparaître sur les esquisses le poing levé, symbole du peuple en lutte, on sent bien que l'inspiration peine à se manifester.
Et puis survient ce qui, à l'époque était impensable. Le 26 avril, la petite ville basque de Guernica est attaquée par l'aviation nazie et fasciste, alliées des franquistes. C'est le premier bombardement civil de masse de l'histoire. Alors que les images de la ville en ruines se propagent, Pablo Picasso, sous le choc, trouve l'inspiration.
Dès le 1er mai, il dessine la première esquisse du tableau qui préfigure celui que nous connaissons aujourd'hui. Il faudra moins de 40 jours à l'artiste pour livrer son oeuvre à ses commanditaires, puisque le 4 juin, elle quitte l'atelier de la rue des Grands Augustins pour rejoindre son premier lieu d'exposition, dans le pavillon de la jeune République espagnole meurtrie.
Alors qui a fait Guernica ?
Oui, c'est Picasso qui a peint le tableau, avec la complicité attentive de Dora Maar.
Et, bien sûr, sans le bombardement des aviateurs de la Légion Condor, pas de Guernica.
Mais, avant de voir l'exposition, il y avait une subtilité qui m'avait échappé.
Juste après le bombardement du 26 avril 1937, la paternité de l'événement n'est pas allée de soi. Le général Franco, dans son communiqué annonçait alors : « Guernica a été détruite par des feux allumés avec de l’essence. La ville a été incendiée par les hordes rouges, combattant pour le criminel Aguirre, président de la République basque […] Aguirre a répandu le mensonge infâme attribuant ce crime à notre aviation noble et héroïque. Nous sommes en mesure de prouver que nos appareils n’ont pas survolé mardi Guernica ou une autre partie du front basque et cela en raison du brouillard. »
La presse française de droite en rajoute comme en témoigne la une du 30 avril du journal "Le Jour", opportunément présentée dans le cadre de l'exposition.
Le débat fera rage pour savoir qui était responsable de la destruction de Guernica.
Car à cette époque, déjà, la capacité à faire circuler des fake news avait ses émules.
Et c'est pourquoi, la réponse de Picasso a M. Otto Abetz n'avait peut-être pour seule vocation que celle de rappeler la vérité crue et têtue des faits.
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