Depuis sa donation par la veuve de Nelson A. Rockefeller en 1985, une reproduction de la célèbre toile de Pablo Picasso, Guernica, orne les murs du siège du Conseil de sécurité de l'ONU, à New York. Mais, le 5 février 2003, un pudique voile bleu la cachait. A la veille de l'invasion de l'Irak, l'oeuvre de Picasso ne pouvait servir de toile de fond à l'annonce par Colin Powell, secrétaire d'Etat américain, que des armes de destruction massive se trouvaient encore sur le sol irakien.
Selon l'organisation internationale, le rideau - devant lequel avaient été posés les drapeaux des 191 Etats membres - devait offrir un fond uni et reconnaissable, plus approprié pour les télévisions. Peu convaincus par cette explication, de nombreux observateurs avaient crié à la censure.
Difficile en effet pour la première puissance mondiale de déterrer la hache de guerre avec des corps déchirés en arrière-plan. Face à la violence de l'oeuvre du peintre espagnol, le gouvernement américain ne pouvait courir le risque d'un amalgame entre l'intervention en Irak et les atrocités commises pendant la guerre d'Espagne. Comme le résumait Maureen Dowd, chroniqueuse du New York Times : "Devant les caméras, M. Powell ne peut certes pas convaincre le monde de bombarder l'Irak entouré de femmes, d'hommes, de boeufs et de chevaux hurlants et mutilés."
Le scénario est toujours le même : élimination des symboles, puis destruction des corps.
Je me souviens de la voix désormais éteinte d'Abdelwahab Meddeb annonçant que ce n'était pas avec le 11 septembre que le monde avait basculé dans la guerre, mais quelques mois plus tôt, en mars de la même année, lorsque les talibans dynamitaient les bouddhas de Bâmiyân en Afghanistan.
Bien avant encore, Heinrich Heine, le poète, nous avait prévenu quand il écrivait : "Là où l’on brûle des livres, l’on finit par brûler des hommes."
Mais savons-nous encore écouter les poètes ?
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