Début octobre de cette année, la presse économique saluait de franchissement de la barre des 1.000 milliards de dollars de capitalisation pour la maison Apple. Mille milliards de dollars... Le nombre donne le tournis et la ritournelle des 12 zéros gentiment alignés derrière le chiffre de l'unité n'est pas sans rappeler l'affiche de ce superbe film de Henri Verneuil ou un Patrick Dewaere joue les journalistes obstinés pour démasquer la turpitude d'un monde des affaires sans scrupules où poules de luxe, agents immobiliers véreux et barbouzes rivalisent de cynisme pour s'enrichir sur la chair des hommes. Le film est de 1982 mais n'a étrangement pas perdu une ride. Pis ! C'est un peu comme si Henri Verneuil avait eu la prescience de ce qu'un capitalisme "globalisé" pouvait porter en gésine de pourriture et de souffrance accumulées.
Cette semaine, l'action Apple s'est écroulée suite à des annonces décevantes sur les ventes d'iPhone. En quelques séances, l'action a dévissé ce qui a fait s'envoler en fumée des milliards de dollars de capitalisation. D'un coup d'un seul, ceux-là même qui criaient au génie de Tim Cook au mois d'octobre, le vouent désormais aux gémonies. Sic transit gloria mundi.
Humain, trop humain. Le comportement s'explique par cette tendance indéfectible de notre caractère de vouloir trouver des raisons et surtout des coupables à tout. Quand la valorisation de la maison à la pomme dépasse les 1.000 milliards, c'est grâce à qui ? Tim Cook. Quand elle dévisse trois mois plus tard, c'est la faute à qui ? Tim Cook. Pourquoi ? Parce que nous effectuons mélangeons corrélation - quand l'action a dévissé, le patron était Cook. Il est donc responsable - et causalité - qu'est-ce qui dans les orientations stratégiques ou l'exécution opérationnelle de Cook peut prêter à penser qu'il est responsable de la non tenue des prévisions de vente d'iPhone sur le dernier trimestre écoulé ?
La confusion entre corrélation et causalité est commune. Nombreux sont ceux qui nous alertent sur les aberrations auxquelles elle nous conduit. Et souvent avec beaucoup d'humour !
Par exemple, saviez-vous que la proportion d'enfants nés hors mariage en Europe était très étroitement corrélée à l'évolution de la surface des forêts en Croatie.
De là à dire que l'un de ces deux phénomènes explique l'autre, il y a un pas que je ne m'aventurerais pas à faire.
Et si vous aimez ces farces du destin déguisées en vérités scientifiques, je ne saurais trop vous inviter à faire un tour sur le site "Spurious Correlations" ("Corrélations fumeuses" - NDLR). C'est ici. Vous y découvrirez tout un lot de corrélations troublantes comme celle entre la dépense des USA dans la science et le nombre de suicides par étouffement, ou encore, ma préférée, celle qui relie le nombre de personnes se noyant en tombant dans une piscine et le nombre de films où apparaît Nicolas Cage.
Mais revenons à nos amis d'Apple.
L'une des raisons principales pour lesquelles nous autres humains sommes amenés à confondre corrélation et causalité tient au fait que nous soyons trop souvent incapables de prendre en compte la dimension temporelle. Du reste, c'est symptomatique. Regardez les corrélations bidons proposées par Spurious Correlations. Elles sont toutes, sans exception, représentées sur un axe temporel homogène, à savoir identique pour les deux phénomènes mis en correspondance.
Or, bien souvent, les causes sont à rechercher dans le passé, c'est-à-dire bien avant que la manifestation du phénomène. Dans son fameux livre The Tipping Point, Malcolm Gladwell avait brillamment montré que la cause à l'origine de la chute brutale du nombre de dégradations dans le métro de New York et de crimes en général dans la grande métropole américaine était plus à rechercher dans la légalisation de l'avortement dans cet état, survenue 16 ans auparavant, plutôt que dans la gestion musclée du maire de l'époque, M. Rudolf Giuliani.
Car bien souvent, là où les corrélations projettent une lumière crue sur des coupables tout désignés, les causes nous renvoient dans les brumes d'un passé plus ou moins lointain.
Au risque de déplaire à nombre de Républicains, même si la bonne santé de l'économie américaine se manifeste sous le mandat de M. Trump, les facteurs qui l'expliquent nous ramènent à la gestion de M. Obama.
Si l'action d'Apple a dévissé cette semaine, c'est peut-être l'effet de la mort du visionnaire Steve Jobs survenue il y a sept ans. Avec sa disparition, c'est le souffle de créativité qui quittait la société. Oh, l'effet ne s'est pas fait sentir tout de suite et l'action AAPL a continué de progresser, profitant de l'impulsion fantastique donné par Jobs de son vivant.
Et si les gilets jaunes font exploser leur ras-le-bol dans la rue aujourd'hui, c'est peut-être à cause de l'impéritie de nos derniers présidents plus que du fait de la politique de M. Macron.
Temps long, temps court. Je me souviens de cet homme politique qui affirmait qu'il fallait attendre une génération pour apprécier dans sa juste mesure l'impact d'une réforme de l'éducation.Temps long de la percolation des politiques publiques dans le tissu social. L'essence trop chère, c'est la faute à Macron. Temps court du jugement asséné à la vitesse de l'éclair.
Food for thought, diraient nos amis anglo-saxons. Matière à réflexion pour cette année 2019 qui vient tout juste de démarrer.
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