Une journée languide de l'automne 1949, Gabriel Garcia Marquez, alors journaliste à Carthagène-des-Indes est envoyé par son rédacteur en chef faire un tour sur le site de l'ancien couvent de Santa Clara. On y procédait alors à des travaux d'excavation au niveau des cryptes et qui sait, peut-être y aurait-il des choses intéressantes à découvrir.
C'était juste avant que le vieux couvent historique des clarisses, transformé depuis en hôpital, ne soit mis en vente à une chaîne d'hôtels de luxe qui en ferait un des palaces fleurons de son catalogue. Le travail d'exhumation des cryptes consistait à vider les tombes de plusieurs générations d'hommes et de femmes d'église, évêques, abbesses et autres dignitaires.
Les caveaux sont éventrés sans ménagement et commence alors un fastidieux travail de séparation des cendres et des bijoux. Sous le soleil féroce d'octobre, les opérations se déroulent avec la lenteur qu'exige un climat qui ne pardonne rien.
Pourtant au milieu de la terre éventrée, "l'événement était là, dans la troisième niche de l'autel majeur, du côté de l'Evangile", écritGabriel Garcia Marquez. "Au premier coup de pioche la pierre se désintégra et une chevelure vivante d'une intense couleur de cuivre déferla hors de la crypte. Le maître d'oeuvre voulut la dégager tout entière avec l'aide des ouvriers, et plus ils tiraient plus elle semblait longue et abondante, jusqu'au moment où l'on distingua les dernières boucles collées à un crâne d'enfant. Il ne restait à l'intérieur de la niche que de menus ossements épars, et sur la pierre taillée rongée par le salpêtre ne figurait qu'un simple prénom : Sierva Maria de Todos los Angeles. Déployée à terre, la splendide chevelure mesurait vingt-deux mètres et onze centimètres."
Cette découverte étrange va bouleverser Gabriel Garcia Marquez. Il se rappellera alors une histoire que lui contait sa grand-mère concernant une jeune marquise de douze ans "dont la chevelure flottait comme une traînée de mariée, morte de la rage après avoir été mordue par un chien et vénérée depuis dans les villages des Caraïbes pour ses nombreux miracles". Liant la découverte de la sépulture à la chevelure de cuivre à la légende de sa grand-mère, Gabriel Garcia Marquez en tirera un petit livre merveilleux appelé De l'amour et autres démons.
Aujourd'hui, quand vous vous baladez dans l'ancien cloître de l'hôtel Santa Clara de Cathagène-des-Indes, la douleur muette de celles qu'on nommait les "emmurées vivantes" y est palpable comme une damnation traversant les âges. J'ai éprouvé cet hiver la même sensation de souffrance murmurante en me baladant entre les ruines de l'ancien couvent des clarisses, mais à Antigua de Guatemala, cette fois, à l'ombre du volcan de Agua.
Pourtant, le choc auquel je ne m'attendais pas fut de découvrir, au détour de mes déambulations entre les couloirs de l'hôtel Santa Clara, une tapisserie de fils à la poudre d'or rappelant en tout point la chevelure prolifique de la jeune héroïne malheureuse de De l'amour et autres démons. Olga de Amaral, l'artiste colombienne, avait réussi ce tour de force de faire revivre les mots dans la fibre et de faire circuler la parole inaudible de la petite marquise enragée sur les murs du palace.
Et pour paraphraser Gabriel Garcia Marquez, désormais, quand je ferme les yeux pour laisser mes pensées divaguer entre Caraïbes et Amérique centrale, il n'est pas rare que je voie flotter une lourde chevelure d'or sous une brise de légers murmures.
Les commentaires récents