La réponse tombe sous le sens : "un commercial, ça sert à vendre." Jusque là, tout va bien. Là où les choses se compliquent, c'est à la question : "vendre, c'est quoi ?"
Lorsque, en animation d'atelier, je pose cette question à l'auditoire, les réponses tournent souvent autour des idées suivantes :
1. Vendre, c'est convaincre, persuader, amener quelqu'un à faire ce qu'on veut qu'il fasse.
2. Vendre, c'est traiter et surmonter les objections, c'est faire preuve d'obstination ("ne jamais céder avant d'avoir reçu 5 non consécutifs"), savoir se montrer opiniâtre.
3. Et bien sûr, l'idée-maîtresse : vendre, c'est closer -- conclure en bon français. Une réminiscence du fameux ABC américain : always-be-closing.
C'est ce que j'ai tendance à appeler la vision héroïque de la vente, façon Charge de la Brigade Légère au large de Balaklava de Lord Cardigan (eh ! oui, celui-là même qui a laissé son nom à la postérité pour la veste de laine). D'un point de vue processus de vente, cela donne des séquences d'actions comme le très classique "A-C-C-C" pour Awareness, Comprehension, Conviction, Closing.
Pour faire simple, cela donnerait quelque chose comme :
1. Je fais une présentation pour que le client soit "aware" (qui mieux que Jean-Claude Vandamme pour définir ce terme ?) ;
2. Je fais une démo pour que le client comprenne ;
3. Je fais un proto pour que le client soit convaincu ;
4. Je négocie pour closer.
En écho au commentaire du Général Bousquet (celui des zouaves à la bataille de l'Alma) après avoir pris connaissance de l'action d'éclat de Lord Cardigan : "C'est magnifique, mais ce n'est pas la guerre", j'aurais tendance à dire : "C'est magnifique, mais ce n'est pas la vente."
La raison est simple. Dans un cas comme dans l'autre il y a une erreur fatale de conception (flaw by design) qu'il est possible de résumer comme l'oubli de l'autre. C'est à croire que le client n'a pas le moindre mot à dire dans sa décision d'achat puisque tout semble prédéterminé par la façon dont le commercial seul agira. Ooops...
Et comme il y a erreur de conception, cela entraîne fort logiquement des problèmes d'exécution. Pas plus tard que la semaine dernière, j'ai animé chez un éditeur de logiciels un atelier d'une journée visant à sensibiliser des commerciaux nouvellement embauchés sur la nature du processus de vente en place. Après avoir exposé les concepts clés présidant à la décomposition en étapes du processus de vente et alors que je décrivais les premiers jalons, un commercial me demanda soudain : "Mais quand est-ce que je déroule ma présentation et que je fais la démo ?"
En interrogeant le vendeur sur sa façon de travailler chez son précédent employeur, je compris qu'il avait été éduqué au "A-C-C-C". En le questionnant plus amplement, je découvris que sa vision du métier de commercial pouvait se résumer comme suit :
1. Je donne de l'information (en présentant avec force diapositives PPT ce que fait mon produit)
2. Je donne des ressources (en demandant à des techniciens de faire des démos, des prototypes, de répondre à des appels d'offre)
3. Je donne du discount (en phase de négociation, pour "arracher" la commande en échange du document signé & envoyé avant la fin du jour/mois/trimestre.
Dans les trois cas, je fus fasciné de constater que ce commercial -- pourtant animé a priori par une vision héroïque de la vente façon Charge de la Brigade Légère -- définissait son activité sous la forme d'un triple don : je donne de l'information, des ressources et du rabais. Pour continuer de filer la métaphore avec la mésaventure de Lord Cardigan, je dirais que les hussards au courage merveilleux donnèrent leur vie, au mépris de la victoire.
Informations, ressources et RRR (remises-rabais-ristournes). Ce sont là bien les 3 seules armes dont dispose un commercial durant un cycle de vente.
Alors, pourquoi faudrait-il qu'il s'en départisse au plus tôt ? Voire, lorsqu'il s'engage dans un cycle de vente, ne serait-il pas plutôt souhaitable que le commercial négocie avec son interlocuteur client les armes en sa possession en échange d'éléments offrant la double vertu d'aider le client à avancer dans son cycle d'achat et d'asseoir -- autant que faire se peut -- le contrôle du commercial sur les différentes étapes constitutives dudit cycle d'achat ?
Une présentation, une démo ? Pourquoi pas, si elle s'inscrivent en contre-partie d'un accès à des interlocuteurs clés et après être tombés d'accord sur une liste de scénarios décrivant la façon dont le client visualise l'utilisation du produit dans l'optique de l'atteinte d'un objectif métier ?
Tout comme le métier du soldat n'est pas de donner sa vie sans opposer de résistance, celui du commercial n'est pas de donner de l'information/des ressources/du discount sans monnaie d'échange. Et comme il ne dispose pas d'autres munitions que celles que je viens de citer, il aura tout intérêt à se montrer perspicace dans leur utilisation et parfois à en négocier âprement la fourniture... Car enfin, négocier (la négation de l'oisiveté, étymologiquement), n'est-ce pas le fin du fin du métier de commercial ?
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