En recommandant à leurs clients des démarches visant à accroître le niveau d’adoption, les éditeurs de logiciel sont en mesure de créer un avantage concurrentiel.
Il est bien clair que les clients se montrent de plus en plus exigeants vis-à-vis de leurs fournisseurs de logiciels. Bien que de nombreux analystes affirment que le secteur de l’édition de logiciel soit désormais à maturité, plus de 50% des fonctionnalités achetées et/ou licenciées auprès d’organisations clientes ne sont pas utilisées à ce jour. Tel est le constat alarmant émis par Butler Group. La sous-utilisation de l’informatique correspond à une perte de productivité et à un gâchis financier de 1 trillion (1 millier de milliards).
Ce gâchis ne passe pas inaperçu aux yeux des clients. Nombreux sont ceux aujourd’hui qui remettent en cause les assises fondamentales sur lesquelles reposent le modèle d’activité du secteur de l’édition de logiciel. Les redevances payables au titre du droit d’utilisation (licence), de la maintenance ou de l’évolution vers une nouvelle version sont regardées de plus en plus près par les clients ; le niveau de pression à l’endroit des éditeurs s’accroît en proportion de ce changement d’attitude.
L’augmentation du niveau d’exigence des clients amène les éditeurs à repenser leur modèle de développement et de génération des flux financiers attendus par leurs actionnaires. La compréhension des mécanismes en jeu liés d’une part à l’adoption et d’autre part à l’utilisation des produits logiciels devient clé pour les éditeurs désireux de maintenir, voire d’améliorer leur position concurrentielle dans un environnement toujours mouvant.
La crise de l’usage
Si les clients n’utilisent pas de façon adequate un produit logiciel – voire ne l’utilisent pas du tout – il va de soi qu’ils auront peu de chance de se montrer satisfaits du produit et/ou de son concepteur / revendeur. Ce constat constitue un problème majeur pour nombre d’éditeurs. Et les données de marché font frémir :
* Selon le Standish Group, seuls 34% des projets IT sont des succès (c’est-à-dire terminés dans les délais, dans l’enveloppe budgétaire allouée et avec le niveau de fonctionnalités attendu) ;
* Le cabinet d’études de marché Forrester cité dans un livre blanc publié par Oracle met en avant que dans 70% des cas d’échec de déploiement de projets de GRC – CRM en anglais – la cause première invoquée est le manque d’adoption au niveau des utilisateurs ;
* Selon Markle Foundation, sur 100 projets déployés dans le domaine des systèmes d’information cliniques, seuls 7 à 13 d’entre eux sont effectivement utilisés.
La crise de l’usage affecte la plupart des secteurs d’activité. Ironie de l’histoire, IDC révèle que 67% des organisations ne pilotent pas l’utilisation qui peut être faite des logiciels une fois faite leur acquisition.
Pour les éditeurs prêts à remettre en cause leurs pratiques de promotion exclusives du couple prix / fonctionnalités, il y a là une véritable opportunité commerciale. Le degré d’adoption et le taux d’utilisation représentent une nouvelle source d’avantage concurrentiel et un vecteur de croissance de revenus, tant pour des acteurs historiques que pour des nouveaux entrants. Ceci est rendu possible tout simplement au nom du principe qui veut que, à partir du moment où un logiciel est amplement utilisé, la valeur d’usage de ce dernier augmente en proportion, ce qui tend à rehausser la barrière à l’entrée pour un fournisseur rival d’offres comparables.
Le chemin vers l’utilisation effective
Pour parler d’utilisation effective, il faut qu’il y a concomitance des 3 éléments suivants :
1. Une masse critique d’utilisateurs fait régulièrement appel aux fonctionnalités de base du logiciel considéré ;
2. Le lien de causalité entre le degré d'utilisation d'une fonctionnalité (ou d'un ensemble de fonctionnalités) et la performance métier est explicite ;
3. Le niveau de qualité des données de base est élevé, ce qui rend possible l'exercice de prise de décision dans un climat de confiance.
Prises ensemble, ces trois composantes constituent le socle d’une position concurrentielle virtuellement inébranlable. Voire, l’observation d’un taux d’utilisation effective élevé peut être à l’origine d’un changement de la politique d’établissement des prix, visant à créer un lien plus étroit entre le prix payé et la valeur perçue. Compte tenu des difficultés bien connues à apprécier la valeur tangible – comptable – liée à l’utilisation d’un logiciel particulier, la notion de taux d’utilisation effective peut être vue comme une excellente approximation de cette dernière.
Les éditeurs de logiciels désireux d’améliorer le taux d’adoption & d’utilisation de leurs logiciels en clientèle ont intérêt à considérer la liste suivante de bonnes pratiques :
1. Trouvez un juste équilibre entre richesse en fonctionnalités d’un côté et propension à utiliser de l’autre. Pour les éditeurs de logiciels, la première étape à considérer réside dans le fait de revoir comment les objectifs parfois contradictoires d’augmentation de la richesse fonctionnelle d’un côté et de développement de l’usage de l’autre peuvent être atteints de façon simultanée. Il est clair que l’innovation fonctionnelle est souvent à l’origine du succès des éditeurs. Toutefois, pour nombre de produits, la richesse fonctionnelle constitue un frein à l’adoption. Sans remise en cause salutaire, la tendance naturelle des éditeurs à « empiler » les fonctionnalités dans leurs produits peut conduire à des effets diamétralement opposés à ceux désirés : des coûts de développement en hausse et une utilisation en baisse. Les éditeurs ont tout intérêt à surveiller de près l’équilibre entre richesse fonctionnelle et “utilisabilité”, l’atteinte de cet équilibre pouvant même aller jusqu’à légitimer le fait d’appauvrir délibérément l’offre produit afin de satisfaire le niveau d’attente correspondant au noyau dur d’utilisateurs ciblés.
2. Pilotez le taux d’utilisation au-delà de la seule mesure du respect contractuel et du nombre de connexions – Il n’y a pas de meilleur retour d’expérience que celui découlant de l’observation et de l’analyse des données descriptives de l’usage de vos produits en clientèle. Vous pouvez en déduire tant de choses : découvrir par exemple quelles sont les fonctions les plus sollicitées, celles au contraire qui ne le sont que très rarement, identifier des séquence d’actions traduisant des activités pas toujours clairement vues a priori. En outre et au-delà de la seule analyse interne des données d’usage, la mise en exergue vers vos clients ou prospects de la façon dont d’autres clients font usage de vos produits constitue en soi une information de base riche, c’est-à-dire propice à l’émergence d’une dialogue autour des pratiques ou logiques d’adoption.
3. Identifiez le chemin suivi par vos clients pour transformer l’utilisation de vos produits en source de génération de valeur économique – Apprécier à sa juste valeur les bénéfices liés au déploiement d’un logiciel met généralement du temps ; il est bien inhabituel de considérer que ces derniers vont se manifester dès le premier jour. De plus, une proportion importante des acteurs impliqués dans la matérialisation des bénéfices en question n’ont pas une conscience exacte ni exhaustive de ce qui est en jeu, ni de la façon dont ils y contribuent. Les éditeurs de logiciels peuvent guider leurs clients en définissant les marches visant à augmenter progressivement tant le taux de d’adoption que le taux d’utilisation, en tant qu’ils représentent de bons substituts de la valeur économique. Pareil “Chemin de Matérialisation de la Valeur” constitue un outil marketing de premier ordre surtout s’il est accompagné d’un plan d’action associé aux moyens & activités à mettre en œuvre pour atteindre les différents paliers de valeur dans l’environnement du client.
4. Pratiquez de la gestion de compte « virale »
Les déploiements de type « big bang » rendent fous les chefs de projet IT qui en ont la responsabilité. En outre, ils ont aussi tendance à rendre inquiets les éditeurs de logiciels concernés. À raison. En effet, l’expérience montre que les déploiements les mieux réussis se caractérisent par une propagation virale de l’adoption. C’est comme observer une fuite d’eau à travers la paroi d’un barrage. Au début, vous ne voyez qu’un mince filet d’eau ; les utilisateurs de vos produits sont encore peu nombreux et ils n’utilisent encore qu’un nombre limité de fonctionnalités. Avec le temps, les premiers utilisateurs transmettent leurs impressions quant à l’utilisation & l’utilité de votre produit ; le bouche à oreille se met en place et se développe comme traînée de poudre. Alors que la base d’utilisateurs s’agrandit, l’usage devient de plus en plus sophistiqué. Avec la sophistication, naît le désir de faire aussi bien, le fameux « Comment fais-tu pour… ». Le coup est parti… Le barrage cède… Votre produit fait désormais partie intégrante des méthodes de travail en place. Du reste, quand on parle du travail, la tendance est de le désigner à travers le nom de l’outil ou du produit. Fais-moi un powerpoint là-dessus… Les éditeurs qui proposent des logiques contractuelles de type SaaS (Software as a Service) où le client paye une redevance périodique en fonction de l’usage effectivement réalisé autour de son produit ou ceux s’appuyant sur Open Source exploitent parfaitement ce type de logique.
5. Développez le savoir-faire des utilisateurs au-delà de la formation au produit – Dans la pratique, la formation produit, centrée sur la compréhension des fonctions clés et leur utilisation en atelier apporte des résultats décevants. L’expérience montre que plus l’effort de formation est personnalisé au contexte de travail de l’intéressé, mieux se fera l’adoption. Là encore, il importe de prendre à contre-pied nombre d’habitudes de pensée traditionnelles : ce n’est pas tant la formation à la chose (le produit) qui importe, que la formation à l’utilisation au produit dans le contexte des activités dans lesquelles elle s’insère. Savoir utiliser Business Objects c’est bien ; savoir quelle utilisation sera faite de l’analyse que je fais avec Business Objects, quel type de décision business en résultera et pour quelle finalité, c’est mieux.
6. Donnez aux bénéficiaires côté client la faculté de justifier a posteriori l’investissement qu’ils ont fait autour de l’adoption de vos produits et/ou services
Le changement inopiné de priorités, l’émergence de conflits d’intérêt inattendus, une restructuration, les entraves potentielles au déploiement réussi de votre technologie sont nombreuses et vous n’avez pas forcément beaucoup de contrôle dessus. Pourtant, vous pouvez aider vos interlocuteurs client à accompagner le changement induit par la mise en œuvre de vos produits dans le cadre d’une démarche volontariste (proactive, comme on jargonne maintenant) centrée autour du suivi des résultats observés en matière d’adoption de vos produits. En encourageant vos clients à investir dans des activités visant à promouvoir et à piloter le taux d’adoption, le taux d’utilisation et la nature des changements désirables induits par l’utilisation de vos produits, vous rendez un service appréciable à vos interlocuteurs tout comme vous vous rendez un fier service en retour. En effet, quelles que soient les tendances observées en matière d’évolution des indicateurs de pilotage choisis, vous disposez d’une tribune, d’une instance pour dialoguer avec vos interlocuteurs client et définir avec eux les modalités permettant d’accélérer le processus d’adoption ou de prévenir un risque de non-adoption selon les cas de figure. En établissant avec vos clients des indicateurs de suivi post-mise en œuvre, vous aider à accroître le taux de réussite du projet, donc l’adoption de vos produits. Vous contribuez aussi à raccourcir les délais de latence entre deux achats consécutifs d’un même client et jetez un socle solide pour la concrétisation de démarches réussies de ventes additionnelles (up-selling) ou croisées (cross-selling). Enfin, vous érigez un mur d’entrée pour vos concurrents éventuels en vous démarquant à travers votre façon de vendre – plus qu’à travers telle ou telle fonctionnalité soi-disant différenciatrice.
7. Assurez-vous que vos clients se focalisent sur le ‘I’ de « IT » ou de « SI ». Il est – malheureusement – aisé de sous-évaluer les enjeux associés à la définition, la collecte et le maintien des données pour des applications complexes. Bien que la relation entre qualité des données d’un côté et qualité de la prise de décision de l’autre soit évidente, la perception exacte de l’effort requis pour atteindre un niveau donné de qualité des données reste elle difficile à jauger. Malheureusement, la perception que vos clients peuvent avoir de la valeur de votre produit peut être largement impactée par des problèmes relevant de la qualité des données de base ou des problèmes de restitution, c’est-à-dire des choses n’ayant a priori que peu à voir avec votre offre et votre savoir-faire.
Le paysage concurrentiel se caractérise par une quête toujours plus pressante de la part des clients à responsabiliser leurs fournisseurs sur la nature des prestations offertes. Dans ce contexte, mettre l’accent sur le degré d’utilisation et la qualité d’utilisation du logiciel est primordial. Voire. Cela devient un savoir-faire synonyme de différenciation au moment où s’effectue la vente et de fidélisation client au-delà.
Au moment où la transition vers une facturation à l’utilisation est en train de gagner la faveur des clients, les éditeurs de logiciels ont plus que jamais intérêt à intégrer cette dimension dans leur politique commerciale. Qu’il s’agisse d’indexer la tarification à l’utilisation effective ou de mesurer dans le temps la façon dont les clients parviennent (ou non) à atteindre les objectifs sous-jacents à l’acquisition initiale de la licence dudit logiciel, le jeu en vaut la chandelle.
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Inspiré par Chris Dowse, CEO de Neochange – Email : [email protected]
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