Madame de Marsan a arraché à Louis XVI, en son temps, la promesse écrite qu’à la mort de La Roche-Aymon, la grande aumônerie reviendrait à son cousin, le prince Louis de Rohan, alors coadjuteur de Strasbourg. Depuis lors, cédant à la pression de son épouse Marie-Antoinette, il a aussi fait la promesse contraire à la reine. Dilemme. Exposé du contexte
[Extrait de « Les Diamants de la guillotine » de Pierre Combescot chez Robert Laffont – page 154 et suivantes (ISBN 2-221-10045X)]
L’altière comtesse (de Marsan – NDLR) débarque à Versailles. Elle y a gardé ses grandes entrées. Sans audience, sans même se faire annoncer, elle pénètre dans le cabinet du Roi. Elle va droit au fait :
- Sire, le cardinal de La Roche-Aymon est mort cette nuit ; je viens réclamer votre bonté et votre parole royale pour mon cousin, le coadjuteur de Strasbourg.
- Ma cousine, je sais que je vous ai promis pour lui la grande aumônerie, mais c’est aujourd’hui chose impossible : demandez-moi toute autre chose pour lui, mais il ne sera pas mon grand aumônier.
- Votre Majesté me cause un saisissement de surprise qui ne peut s’allier avec la parole d’un roi. Non, Sire, vous n’y manquerez pas, et mon cousin sera grand aumônier.
- Qui pourrait me forcer à prendre un homme pour qui j’ai la plus grande répugnance ?
- Vous-même, Sire, vous-même qui ne voudrez pas qu’il soit dit que vous avez manqué solennellement à votre parole donnée pour service rendu. Une simple répugnance n’est pas un titre pour y manquer.
- Je n’y puis consentir : j’ai donné ma parole à la reine.
- Je respecte les volontés de la Reine; mais Votre Majesté ne peut avoir deux paroles. Je prends la respectueuse liberté d’assurer Votre Majesté qu’ayant publié la parole qui m’a été donnée par elle je me verrai dans l’impérieuse nécessité de publier que le Roi n’y a manqué que pour complaire à la Reine.
- Voulez-vous donc, ma cousine, me forcer à placer malgré moi, dans ma maison, un homme qui me déplaît et qui déplaît souverainement à la Reine ?
- Non, Sire, je n’invoque aujourd’hui que votre loyauté et votre justice. Nommez le coadjuteur grand aumônier ; vous vous le devez à vous-même. Mais il ne doit pas garder cette place malgré vous. Voici donc à quoi je m’engage pour lui et pour toute la maison de Rohan. Si, dans deux ans, mon cousin n’a pas le bonheur de dissiper, par sa bonne conduite et par ses services, la déplaisance de Votre Majesté et de mériter ses bontés, il donnera sa démission et ne paraîtra plus à votre cour. Si le Roi l’exige, il remettra lui-même cette promesse secrète par écrit au moment même de sa nomination.
- Eh bien ! puisque vous le voulez ainsi, je le nomme à regret, mais aux conditions que vous proposez vous-même.
Derrière la rhétorique brillante du Grand Siècle finissant, on retrouve les 4 temps qui scandent toute négociation aboutie : A. L’expression de la demande, de la revendication B. Le fleuret moucheté des assauts repoussés avec constance et fermeté C. La recherche d’un accord mutuellement profitable à travers l’échange de concessions croisées D. La résolution Après avoir clairement exposé l’objet de sa visite (premier temps de la négociation), la comtesse de Marsan repousse plusieurs fois avec brio les assauts du Roi qui entend lui faire connaître sa résolution définitive de ne pas nommer le prince Louis de Rohan au poste de grand aumônier. Elle commence par feindre la surprise, invoque ensuite la logique en alléguant que Louis XVI est contraint par sa propre parole, puis esquisse délicatement les conséquences résolument fâcheuses que pourrait entraîner une divulgation sur la place publique de la duplicité du roi. Dans le troisième temps, sentant que la partie risque de s’enliser si chacun s’en tient à ses positions de départ, la comtesse propose un jeu de concessions réciproques qui, s’il lui permet de maintenir l’intégrité de sa demande, en adoucit les modalités d’application. Ce faisant, Madame de Marsan offre à Louis XVI un moyen d’honorer sa parole initiale et de sauver un tant soit peu la face vis-à-vis de celle auprès de qui il s’est dédit, la Reine Marie-Antoinette. Sublimement habile (voire douce) dans le verbe, mais extrêmement ferme dans le propos, la comtesse fait montre d’un sens aigu de la négociation. Un modèle du genre auquel le Roi, tout détenteur du pouvoir suprême qu’il est, ne peut que se plier de bonne grâce…
Commentaires