Pratiquement quel que soit le domaine considéré, l'histoire des pratiques de vente depuis la fin de la deuxième guerre mondiale peut se résumer en trois temps bien distincts :
Temps n°1 -- La vente technique. C'était l'époque de la technique reine. Les ordinateurs se vendaient à coups de MIPS (millions d'instructions par seconde) ou de TPS (nombre de transactions par seconde). Les exposés de vente consistaient à expliquer comment était architecturé le produit et quelles en étaient ses caractéristiques. Le substantif est le mot clé du discours. Cette période a correspondu aux 30 Glorieuses.
Temps n°2 -- La vente marketing. Mai 68 est passé par là. Les esprits ne se satisfont plus d'exposés vantant les mérites intrinsèques du produit. La vente change radicalement de registre. Désormais, le vocabulaire aride du technicien fait place au discours fourre-tout d'un marketing sur-puissant. Les attributs du produit basculent du monde de la caractéristique (ex : potentiel d'accélération) à celui -- ô combien plus excitant -- de la façon dont la possession du produit va transformer la vie de son possesseur. Les produits deviennent innovants / chics / intégrés / cools / performants / sans couture (si, si, c'est la traduction de l'anglais "seamless" / ergonomiques... Adieu les descriptifs techniques arides et ennuyeux ; bienvenue à l'emphase, au déclamatoire. C'est le retour du bateleur. Les Américains ont un mot pour cela : le "hype". Il ne s'agit plus d'expliquer mais de faire rêver. C'est le tiromphe de l'adjectif. Nous sommes dans les années 90 : strass, paillettes et hautes technologies.
Temps n°3 -- La vente comme si vous étiez au théâtre. La bulle Internet a éclaté et avec elle, beaucoup de cadavres sont déterrés. On découvre que les dot.com étaient, à de trop rares exceptions près, bâties sur du sable ; les logiciels censés faire des miracles sont en réalité restés sur les étagères. C'est le coup de la gueule de bois au réveil après une nuit d'ivresse. Désormais, à l'image de ce que révèle une étude récente réalisée par OVUM, les clients disent clairement aux vendeurs : "Epargnez-nous les descriptifs techniques ennuyeux ou les panégyriques délirants. Evitez l'emploi des expressions galvaudées comme "proposition de valeur", ou "solution". Racontez-nous plutôt comment vos clients utilisent vos produits, pour atteindre quels objectifs, résoudre quels types de problèmes. Dites-nous les résultats qu'ils obtiennent et de grâce soyez concrets." Désormais, dans un monde où la ressource la plus rare est le temps d'attention d'interlocuteurs toujours plus pressés, vendre consiste à savoir raconter des histoires. Pour cela, il convient de maîtriser une rhétorique formalisée il y plus de 2.500 ans déjà par Aristote lorsqu'ils codifiaient l'art et la manière de bâtir une pièce de théâtre. Et comme au théâtre, c'est l'action qui importe, c'est le déroulement dans le temps qui fait l'histoire. De ce fait, la grammaire de la vente change à nouveau. Maintenant, c'est le verbe qui est le mot le plus important de la phrase.
Pas étonnant dans ce contexte que le "storytelling" (l'art de raconter des histoires) fasse actuellement des ravages outre-Atlantique. A ce titre, j'ai utilisé pour illustrer ce billet une série de dessins de Don Moyer, qui met sont art de graphiste au service des histoires qu'il entend raconter.
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