Lorsque je rencontre pour la première fois des dirigeants d'entreprises de haute technologie, je m'enquiers de l'existence chez eux d'un processus de vente formalisé, c'est-à-dire d'un document formalisant la séquence des conversations que la force de vente (au sens le plus large) se doit d'avoir avec des prospects/clients afin d'aider ces derniers à prendre des décisions d'achat favorables. Dans la majorité des cas, la réponse qui m'est donnée est "oui". Voire. En me répondant "oui", mes interlocuteurs marquent souvent une pointe d'étonnement, me laissant entendre par là même que la question est pour le moins saugrenue. Je demande alors à mon vis-à-vis de me décrire le processus de vente en vigueur dans sa société. A ce stade, il n'est pas rare qu'on m'indique le nom d'un produit d'automatisation de la gestion commerciale ou qu'on me décrive un mécanisme de génération de tableaux de bord... Pourtant, ce n'est pas ce que je souhaite savoir ; ce n'est pas l'automatisme qui m'intéresse, c'est la nature des conversations que les commerciaux ont avec leurs prospects & clients. Deux mondes. Je change alors mon fusil d'épaule et concentre mon questionnement sur ce que j'appelle les symptômes de l'absence de processus de vente ou, dans le cas contraire, d'une non-utilisation dudit processus.
Voici la liste des cinq symptômes principaux :
20% des commerciaux réalisent 80% du chiffre d'affaires.
Si tel est le cas, cela m'indique que l'entreprise a peu investi dans l'identification des meilleures pratiques de vente résultant de l'observation de ses meilleurs vendeurs. Résultat : une poignée d'individus "sur-performent" et une grande majorité reste (consciemment ou non) dans l'ignorance de ce qui amènent les stars à réussir. Pour rappel, même pendant la décennie glorieuse des technologies de l'information (les années 90) et dans le pays où la demande pour ce type de produits était la plus soutenue (les Etats-Unis), 46% des commerciaux n'atteignaient pas leur quota, leur objectif.
Le management a besoin d'explications verbales de la part de ses commerciaux.
Formaliser un processus de vente signifie aussi codifier les critères de qualification permettant de savoir où se positionne une opportunité dans la démarche d'achat du client. Afin de rendre l'approche "robuste", il y aura un intérêt clair à ce que ces critères, une fois arrêtés, soient auditables (c'est-à-dire documentés) et que leur validation résulte de l'expression de la "voix du client". En l'absence de ces éléments, faut-il s'étonner que le management commercial soit, le plus souvent, dans l'inconnu et qu'il lui faille faire appel au commercial pour se faire une idée du statut d'une affaire en cours ?
L'établissement des prévisions commerciales est le résultat d'un enchaînement d'opinions.
Il s'agit là d'un corollaire du point précédent. En l'absence de processus commercial mis sous contrôle, les interactions rendues indispensables entre la force de vente et son management, seront émaillées des fameuses questions "quand (l'affaire rentre-t-elle) / (pour) combien" assorties de la non moins fameuse question subsidiaire "qu'est-ce qui me permet d'avoir confiance dans ce que tu me dis ?" C'est le royaume de la subjectivité la plus totale. Phénomène amusant : j'ai observé que moins l'entreprise s'adossait à l'exploitation d'un processus de vente, plus le management avait recours à des concepts américains pour fiabiliser sa démarche d'établissement des prévisions. Au fil de mes interventions, à côté du sacro-saint "forecast" (prévision), j'ai rencontré les termes de "commit" (engagement), d' "upside" (le point de chute optimiste), de "downside" etc...
Le taux de rotation des effectifs commerciaux (turnover) est important.
Il s'agit là d'une conséquence directe du premier point, la loi de Pareto appliquée à la performance commerciale. En effet, que peut espérer un jeune commercial quand, après avoir intégré une entreprise, il s'aperçoit que les clés du succès des "stars" lui sont inaccessibles, faute d'avoir été codifiées dans une séquence de conversations types représentant les interactions qu'il lui appartient d'avoir avec ses prospects et clients pour maximiser ses chances de succès ?
Les affaires glissent d'un trimestre sur l'autre.
Dans le milieu des éditeurs de logiciels, il n'est pas rare que près de 50% du chiffre d'affaires trimestriel licences soit réalisé lors de... la dernière semaine du trimestre. En l'absence d'un processus de vente formalisé permettant de prévoir la performance future car adossé à des critères objectifs (c'est-à-dire documentés, auditables) et validés par le client, et pour peu qu'il y ait une forte variabilité dans la taille des affaires, le management devra s'en remettre à la subjectivité de ses commerciaux dans son appréciation du statut des deals les plus significatifs. Et là, par définition, tout peut arriver ! Même dans les années 90, la durée de vie moyenne d'un directeur commercial à son poste n'était que de 22 mois. A la raison de savoir pourquoi elle est si courte, la réponse qui revient le plus souvent est... incapacité à établir des prévisions fiables.
Le monde des affaires n'aime pas les surprises, a fortiori si l'entreprise est cotée en bourse. Disposer d'un processus de vente formalisé, partagé et sous contrôle constitue un must dans ce type de contexte. Qu'en est-il pour vous ? Avez-vous passé avec succès le test ?
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