Parmi les interlocuteurs directeurs généraux que je suis amené à côtoyer, nombreux sont ceux qui considèrent que le talent commercial ne s'apprend pas, qu'il relève de l'inné. Les vrais vendeurs ont ça dans le sang dès leur plus jeune âge, pensent-ils.
Cette idée va à l'encontre de ce que j'ai pu observer sur le terrain. Elle est aussi battue en brèche par une analyse récemment publiée dans un numéro spécial de la Harvard Business Review paru cet été et pleinement consacré à la vente.
Dans un article intitulé "Understanding What Your Sales Manager Is Up Against", Barry Trailer et Jim Dickie font état d'une analyse effectuée auprès d'un de leurs clients afin de comprendre quelles étaient les variables discriminantes les plus décisives pour expliquer l'issue positive (respectivement négative) d'un cycle d'avant-vente. Pour conduire cette étude, ils ont analysé des dizaines d'affaires perdues et gagnées dans l'optique d'isoler les facteurs explicatifs de l'échec ou du succès.
Contrairement à ce qu'ils imaginaient a priori, le talent des commerciaux -- notamment dans leur capacité à accéder aux couches hautes de la hiérarchie chez le client -- n'apparut pas comme un facteur discriminant.
En revanche, ils notèrent dans les affaires gagnées un élément qui revenait avec une constance étonnante. Après avoir aidé le client à visualiser une solution orientée vers l'utilisation des produits & services de son catalogue, le commercial avait demandé explicitement l'accès à un ensemble d'interlocuteurs clés de l'organisation client. En outre, il avait formulé clairement les raisons de sa requête sous l'angle des bénéfices mutuels que les deux organisations (client & vendeur) étaient en mesure de tirer de cette démarche. Il s'avéra que la seule expression de cette demande, jointe à une constance dans la volonté de la voir aboutir, créait une pression positive suffisante pour favoriser une issue favorable au cycle d'achat, quand bien même, dans de nombreux cas, le commercial n'était pas parvenu in fine à accéder aux interlocuteurs désirés.
Une fois de plus, le souci de comprendre la vente sous l'angle des corrélations entre des actions clients et des comportements commerciaux permettait la mise en évidence d'une "bonne pratique".
Pratiquement, pour le client de Barry Trailer et Jim Dickie, il ne resta plus alors qu'à codifier la pratique en question, à l'intégrer dans le processus de vente en place et à former les commerciaux autour du changement intervenu et du comment le mettre en pratique. D'un coup d'un seul, le talent de quelques uns avait pu être isolé et partagé auprès du collectif que constitue la force de vente dans son ensemble.
La vente comme art était devenu une technique qui s'enseigne. Le processus commercial permettait d'institutionnaliser le changement opéré au niveau de l'ADN de la société, d'en faire un élément clé de la posture collective que cette société affichait sur le marché. Du point de vue du client, l'adhérence des commerciaux du fournisseur à un processus de vente codifié autour des meilleures pratiques concourant à accélérer la prise de décisions d'achat, constituait aussi une garantie essentielle : celle de rendre "répétable" dans le temps l'expérience d'achat auprès de ce fournisseur.
Dans la vente comme dans n'importe quel domaine, la magie de l'oeuvre d'art cache souvent des heures de préparation, d'entraînement et de pratique autour de techniques bien précises. A condition naturellement de savoir isoler le comportement et codifier le savoir qui en résulte de manière à en faciliter l'apprentissage collectif. Une technique qui s'apparente à un art, dans bien des cas...
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