Dans les années 40, Dale Carnegie fut l'un des premiers à formaliser la vente. En bon fils de son époque, il établit une connexion étroite entre la vente et les attributs suivants :
- Convaincre
- Persuader
- Traiter les objections
Plus le discours était "fort", plus la vente avait des chances de se faire. Telle était la loi de l'époque. Il en est résulté des générations de vendeurs hâbleurs, genre "sourire Colgate" et "pied dans la porte", formés à débiter des argumentaires produits, puis à "arracher" la commande dès que le travail de "conviction" était fait.
Autant le dire tout net... Ces techniques ne marchent plus. Du reste, ont-elles jamais fonctionné ?
Dès les années 1960, des expériences conduites par Howard Leventhal mettent en évidence que le seul pouvoir de conviction ne constitue pas un moteur suffisant pour agir. Levanthal voulait vérifier s'il pouvait persuader un groupe d'étudiants de Yale de se faire vacciner contre le tétanos. Pour ce faire, il les répartit en plusieurs sous-groupes et donna à chacun un prospectus expliquant les dangers du tétanos, l'importance à se faire vacciner et l'information comme quoi tout étudiant qui le désirerait pourrait se faire vacciner gratuitement à l'infirmerie du campus.
Les prospectus étaient de différents types. Certains étudiants se voyaient remettre un livret à fort pouvoir anxiogène, où la maladie était décrite de façon dramatique, avec des photos chocs d'enfants atteints. Dans une version plus "soft", le vocabulaire utilisé pour décrire la maladie était expurgé des mots à fort contenu émotionnel et les photos étaient inexistantes.
Leventhal observa l'impact des 2 types de prospectus sur l'attitude des étudiants au regard de leur démarche propre de prévention et de vaccination.
En première analyse, les résultats confirmèrement l'a priori initial : les étudiants ayant reçu le prospectus choc étaient plus convaincus des méfaits de la maladie et de la nécessité impérieuse de se faire vacciner. Pourtant, un mois après la réunion de synthèse, seuls 3% des étudiants étaient allés se faire vacciner et ce pourcentage était le même quel que soit le prospectus reçu. Pour une raison obscure, les étudiants semblaient avoir oublié tout ce qu'ils avaient appris sur le tétanos. Malgré l'adhésion au discours, il n'y avait pas de passage à l'acte, pas de modification de comportement.
Devant des résultats aussi décevants, Leventhal se dit que le problème ne se situait donc pas au niveau du message, puisque tous les étudiants avaient plongé conceptuellement. Il eut alors l'idée de relancer l'expérience en incluant un "tout petit changement". Il ajouta à chacun des prospectus une carte du campus avec l'indication du lieu où se trouvait l'infirmerie, ainsi qu'un détail des horaires d'ouverture. Sans plus d'effort, le pourcentage de vaccinations grimpa de 3% à 28%.
Il y a 2 résultats intéressants dans cette expérience :
- Persuasion ne veut pas dire action -- Les 28% d'étudiants qui se sont fait vacciner appartenaient à proportion égale au groupe des récipiendaires du prospectus "choc" et du prospectus "soft".
- Plus de savoir n'entraîne pas plus d'action -- Les étudiants qui ont participé à l'expérience comptaient déjà plusieurs années de vie sur le campus. Tous savaient pertinemment où se trouvait l'infirmerie. Pourtant, le fait de formaliser de façon explicite le mode opératoire (ce qu'il y avait à faire pratiquement pour se faire vacciner) eut un effet déterminant dans le passage à l'acte.
Lorsque j'interviens auprès de sociétés vendant des produits de haute-technologie (logiciels, par exemple), je suis toujours surpris de constater combien sont nombreux les commerciaux pensant que la vente est faite dès qu'un individu suffisamment haut placé dans la sphère de décision se montre "convaincu". Face à un vendeur manifestant ce type d'attitude, je pose systématiquement les 2 questions suivantes :
- Convaincu ? -- Peux-tu me décrire comment il envisage d'utiliser tes produits et quelle valeur il associe à cet usage ?
- Prêt à agir ? -- Peux-tu me décrire comment il envisage de mettre en oeuvre tes produits pour que l'usage qu'il entrevoit soit effectif ?
Voilà deux questions simples, voire simplistes. Pourtant, il semble que les réponses ne soient pas toujours aussi simples...
Encore une fois, si vous partagez l'idée que vendre c'est aider un client à visualiser un usage qui lui apporte une certaine valeur, alors vous n'aurez aucun mal à en déduire que cela n'a rien à voir avec l'idée de convaincre. Pour autant, même si le client visualise cet usage, même s'il y attache sincèrement une valeur suffisante pour aller de l'avant (c'est-à-dire supérieure à l'investissement requis), il n'agira qu'en possession d'une vision claire sur la façon dont il pourra mettre en oeuvre pratiquement la solution conceptuelle qu'il s'est mise en tête.
A bon entendeur, salut !
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PS - J'ai découvert l'expérience d'Howard Leventhal dans le livre de Malcolm Gladwell intitulé "The Tipping Point" (p.96 et suivantes). Il a été traduit en français : "Le Point de Bascule".
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