A chaque fois que je pose cette question lors des séminaires que je suis amené à animer, la réponse que je reçois invariablement est : "le client, bien sûr". Je demande alors pourquoi. Là encore une belle unanimité se fait autour de la réponse : "parce qu'il a l'argent."
Cette semaine, alors que je participais à une revue d'affaire en cours, un commercial expose une situation peu courante : dans le cadre de la réalisation d'un prototype devant servir de preuve étayant la prise de décision d'achat, le DSI du prospect demande la présence de consultants de l'éditeur afin d'accélérer la mise en oeuvre opérationnelle dudit proto. Le commercial s'enquiert des conditions d'intervention des consultants (disponibilité, compétences, tarifs) et en fait part au DSI. Ce dernier s'insurge. "Comment pouvez-vous me facturer ces interventions alors que vous en êtes en phase d'avant-vente ?" Le commercial campe sur ses positions. Le DSI prend la mouche ; il commence à proférer des menaces à peine voilées. "Si vous ne faites pas intervenir vos consultants gratuitement tout de suite, cela allongera la phase de réalisation du proto et (dans l'hypothèse naturellement où nous choisirions de travailler avec vous) entraînera un glissement d'au moins 1 mois dans notre calendrier de prise de décision." Après une résistance de principe, notre commercial cède.
Après l'exposé de la situation, je pose la question suivante au commercial : "entre toi et le client, qui est le plus impacté par un retard d'un mois ?"
- "Moi", me répond-il immédiatement. "Car cela veut dire que la commande ne rentre plus dans le trimestre et mon année est compromise."
- "Et côté client, quel impact vois-tu ?"
Il reste sans voix. Manifestement, il ne s'était pas posé la question sous l'angle de vue du client. Alors, pour le mettre sur la voie, j'ajoute la question suivante : "Pourquoi mettent-ils en oeuvre cette initiative ?"
Là mon commercial redevient disert : "Pour mettre en place un nouveau service sur le marché... se différencier de la concurrence... gagner des clients à la concurrence..."
- "Ce service sera-t-il facturé à leurs clients ?"
- "Bien sûr !"
- "Quelle est leur projection la plus conservatrice de chiffre d'affaires incrémental généré à travers ce service nouveau ?"
- "40.000 euros par mois."
- "Quelle est donc la valeur correspondant à un mois de retard chez le client ?"
- "Un manque à gagner de 40 K€."
- "A l'aune de ce résultat, qui dirais-tu est le plus impacté par le retard dans la mise à disposition des facultés en jeu : toi, dont la commande arrive un mois plus tard que prévu, ou le client, qui subit un manque à gagner minimal de 40 K€ ?"
- "Le client"
- "OK. Si maintenant, au lieu de fournir gratuitement l'intervention des consultants, tu la rendais payante au tarif habituel, quel serait le bilan financier de l'opération du point de vue du client ?"
- "3 jours à 1,5 K€ / jour... Cela fait 4,5 K€. En face de cette dépense, le client peut faire valoir la possibilité de mettre en oeuvre l'application 1 mois plus tôt, ce qui, à ses propres dires, représente un équivalent CA de 40 K€. Même en considérant qu'ils margent à 20%, cela fait 8 K€ d'équivalent en résultat. Le client y gagne, donc !"
Contrairement à l'idée préconçue, les commerciaux ont souvent plus de pouvoir qu'il n'y apparaît. A condition, toutefois, qu'ils assument pleinement leur rôle de "facilitateurs" de prises de décision d'achat chez leurs clients et prospects. Cela veut dire, sortir du registre de fournisseur d'informations, de ressources et de discount pour vêtir les habits d'un professionnel de la vente aidant les clients à visualiser la valeur des facultés en jeu. Cela signifie aussi sortir de l'émotionnel et du conventionnel et instaurer un dialogue rationnel, d'égal à égal, dont la raison d'être est la recherche de la maximisation du profit mutuel.
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