Ceux qui me connaissent savent que je suis un amoureux de Rome et de ses églises baroques. Or, il se trouve que je viens de terminer la lecture d'un ouvrage remarquable consacré aux deux plus grands architectes romains du XVIIème siècle : Gianlorenzo Bernini et Francesco Borromini. L'ouvrage s'appelle "The Genius in the Design". Son auteur, Jake Morrissey décrit comment la rivalité opposant ces deux maîtres a donné naissance à des oeuvres d'exception : Sant'Agnese in Agone, la fontaine des quatre fleuves, San Carlino alle Quattre Fontane, Sant'Andrea al Quirinale... J'en passe.
Il décrit aussi comment, Gianlorenzo Bernini aussi appellé Le Bernin est sorti grand vainqueur de cette confrontation de titans. Pourtant, avec 4 siècles de recul, nombreux sont les architectes modernes qui reconnaissent à Borromini un talent supérieur, une plus grande capacité d'innovation.
Mais voilà, il fut justement victime de ce talent. Car au lieu de l'exploiter pour complaire à ses commanditaires de la papauté d'alors, il s'en servit surtout pour mettre à mal leurs options esthétiques. Comme la remise en cause est toujours un exercice douloureux, cela se terminait souvent mal. Les papes successifs s'irritaient de cet artiste fantasque qui ne ratait jamais une occasion de se faire remarquer.
A la fin du livre, Jake Morrissey a une belle formule pour donner à entendre la différence de tempérament des deux artistes :
"Bernini succeeded by surpassing expectations; Borromini startled by defying them."
Si, aujourd'hui, ils sont rangés l'un et l'autre sur le même pied d'estale, la situation du temps de leur vivant fut bien contrastée. Car alors que Le Bernin fut adulé tout au long de son existence, Borromini se suicida, dans l'indifférence la plus totale. Alors que le premier laissait à sa mort une fortune colossale de 400 mille écus, celle du second se résumait à seulement 10 mille écus.
Puisque la différence n'était pas dans le talent, où était-elle ? Tout simplement dans la manière de "se" vendre. Le Bernin savait que l'art de la vente résidait dans la capacité à se mettre au niveau des attentes du client. Borromini, lui, croyait que le fait de proposer "plus", "mieux", lui permettrait se démarquer. Hélas pour lui, alors qu'il croyait pouvait se différencier de son concurrent, ses commanditaires ne le voyaient que... différent.
La leçon vaut pour tout acte commercial. Se différencier est bien, à condition toutefois d'avoir d'abord montré patte blanche quant à sa capacité à satisfaire les attentes élémentaires du commanditaire.
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