Ceux qui me connaissent savent combien j'attache de l'importance à ce que les vendeurs sachent décrire de façon explicite et détaillée comment leurs clients utilisent les produits & services qu'ils commercialisent.
En effet, en l'absence de cette connaissance, les commerciaux auront vite fait d'être aspirés dans la spirale létale de la "commodité". Dans un premier temps, les clients leur demanderont de ne s'adresser qu'à des interlocuteurs techniques, relayés ensuite par des départements achat pour la discussion des conditions économiques. Leur pouvoir s'effritera au rythme de l'érosion des prix que leur imposeront les acheteurs. Bientôt, faute d'avoir su maintenir le lien avec les bénéficiaires, le commercial se verra condamné à subir.
A contrario, les commerciaux qui auront su suivre dans le temps l'utilisation que leur client faisait de leurs produits & services pourront maintenir un dialogue avec les bénéficiaires fonctionnels. Et il s'agit là de conversations souvent beaucoup plus fructueuses que celles ayant pour seul objectif de laminer les marges des fournisseurs.
Je viens d'en avoir une illustration aussi éclatante qu'inattendue à la lecture de l'ouvrage de Sylvain Darnil et Mathieu Le Roux sur les 80 hommes pour changer le monde. Les auteurs citent le cas de Karl Stützle, directeur général de Safechem, une filiale de Dow Chemicals spécialisée dans la fourniture de solvants chlorés extrêmement polluants.
Au début des années 90, le marché des solvants chlorés, utilisés essentiellement pour évacuer la graisse de pièces métalliques au fonctionnement vital comme les airbags, par exemple, est en pleine déconfiture. D'un point de vue strictement économique, les ventes chutent sous la pression notamment des ONG et des associations écologistes qui en dénoncent le caractère nocif pour l'environnement. Le nombre de tonnes vendues chute sans rémission visible à l'horizon.
C'est à ce moment critique que Karl Strütze se voit confiées les clefs de l'entreprise Safechem par les dirigeants de la maison mère, Dow Chemicals.
Dans les premiers jours suivant son investiture, Karl Strütze cherchera à comprendre comment les clients se servent des solvants chlorés vendus par Safechem. Il découvre rapidement que les clients n'achètent pas les solvants pour leur poids, mais pour le service rendu : nettoyer les pièces métalliques. Ce constat est décisif : il y a désajustement entre ce que vend l'entreprise (des tonnes de solvants) et ce que veulent les clients (la propreté et le bon fonctionnement de pièces sensibles). Karl Stützle va s'employer à restaurer le principe de cohérence en faisant basculer l'entreprise Safechem de la vente de solvants vers la fourniture de prestations de nettoyage à base de solvants. La nuance est de taille. Désormais, l'entreprise va livrer aux clients deux containers, l'un rempli de solvants, l'autre vide. Les deux containers seront branchés hermétiquement à un bac de lavage. Une fois l'opération terminée, Safechem récupèrera les containers. Celui qui était rempli sera vide et le vide aura été rempli.
Le bénéfice environnemental est clair. "Dans ce système parfaitement contrôlé, pas une goutte de produit ne s'est échappée. Tout le solvant utilisé est récupéré par Safechem pour être recyclé (92% du contenu) ou incinéré, en dernier recours" Ou plus loin : "En adoptant une logique de "service", les quantités de solvants chlorés utilisées sont passées de vingt-cinq tonnes par an et par client en 1988, à deux tonnes en 2002."
Le bénéfice économique l'est tout autant. "Alors qu'en Allemagne, la société Safechem ne représentait que 6% du marché en 1994, elle pèse plus de 50% dès 1999."
La morale de cette histoire est simple : en matière de performance commerciale comme de protection de l'environnement, la notion de développement durable exige une attention soutenue portée aux usages.
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