Les métiers de la vente ont donné naissance à de nombreux stéréotypes puissamment ancrés dans les consciences. Et autant le dire tout de go : ces stéréotypes de font pas la partie belle à la profession de vendeur. Du reste, regardez autour de vous. Quelle mère soucieuse de voir son enfant réussir dans la vie aura jamais rêvé qu'il devînt commercial, camelot, ou démarcheur ? Même les entreprises ont honte de leurs commerciaux. Tenez, j'ai passé près de 20 ans à faire ce métier pour le compte d'entreprises de haute technologie et il n'en est pas une qui m'ait consenti des cartes de visite où serait écrit : "Jean-Marc Bellot, vendeur". Non. C'eût été trop simple et trop vulgaire à la fois. Résultat : j'ai été tour à tour "ingénieur commercial", "ingénieur d'affaires", "regional manager", "directeur d'opérations", autant de titres ronflants qui renvoient pourtant tous à une même réalité : j'étais vendeur. Mais voilà. En français comme en anglais, la vente c'est "sale".
Il faut dire que le stéréotype de la vente a la peau dure. Vous souvenez-vous du film Glengarry Glen Ross de James Foley ? Vous y êtes plongé(e) dans le quotidien de la société immobilière Mitch & Murray. La concurrence entre vendeurs y est impitoyable. A un moment donné, lors d'un brief d'équipe, un manager joué par Alec Baldwin annonce une importante restructuration d'effectif. Le thème est classique : ceux qui feront leur chiffre resteront, les autres... la porte ! Ce qui est moins classique, c'est la forme. Un tissu d'insultes et d'humiliations. Les métaphores sexuelles dégradantes y sont légion. Ca ressemble à une harangue militaire : mêmes ressorts, même ton. Le tout visant à faire ressortir l'agressivité élémentaire. D'un côté pour trucider l'ennemi, de l'autre pour b***** le chaland.
Eh oui, il faut bien se le dire. Le référentiel de la vente 1.0 c'était l'armée. "Command, control, conquer". Ordonner, contrôler, conquérir. Dans ce modèle, l'échec n'a pas sa place. Ou bien vous réussissez (à prendre la tranchée / à ramener la commande) , ou bien vous disparaissez (mort / viré).
Mais voilà. Ce modèle a pris récemment du plomb dans l'aile. Désormais, à l'heure d'internet, les clients ne dépendent plus des vendeurs pour disposer d'informations sur l'identité des fournisseurs potentiels par rapport à un besoin déterminé, ou sur les caractéristiques de leurs offres. Un coup de Google et hop ! Ils savent tout ce qu'ils veulent sur le fournisseur et son offre, sans avoir jamais vu ni entendu l'un de leurs commerciaux. Pourtant, ils ont encore besoin des vendeurs. On l'a vu, pas pour faire l'article de l'loffre ou subir des présentations de 50 diapositives ou plus commençant par le sempiternel : "Nous sommes leader dans le XXX (acronyme de 3 lettres désignant une catégorie de marché taillée tellement sur mesure qu'elle ne regroupe qu'un acteur... vous)." Non. Ils ont besoin des vendeurs pour faire trois choses bien précises :
- Visualiser - notamment à travers l'exposé de la façon dont d'autres organisations se servent déjà des produits - quelles facultés ils vont être en mesure de tirer parti de l'offre pour atteindre leurs propres objectifs métier ;
- Comprendre comment, avec l'aide du fournisseur ou celle de tiers appartenant à son écosystème, ils vont pouvoir mettre en oeuvre les facultés en jeu ;
- Vérifier en quoi les bénéfices qu'il estiment pouvoir tirer des facultés identifiées plus haut leur permettent de justifier l'investissement.
Pour répondre à cette nouvelle donne, le modèle command/control/conquer a fait long feu (encore une métaphore tirée du registre lexical de la guerre). Les vertus attendues aujourd'hui chez le vendeur sont tout autres. Elles s'articulent sur de nouvelles fondations : collaborer / chorégraphier / capturer.
Collaborer. La vente du produit ne se conçoit désormais que dans un contexte. Celui du client, de ses contraintes opératoires, de sa projection future en matière d'objectifs à atteindre. La "solution" n'appartient plus au fournisseur ; ce n'est plus une liste de caractéristiques produit. Désormais, la "solution" se dit avec les mots du client ; elle se décline sous la forme de facultés, c'est-à-dire de modalités d'utilisation de l'offre du fournisseur. Il s'agit donc d'une construction à deux voix.
Chorégraphier. Avant la vente avait ce côté brutal de l'assaut mené tambour battant par un vendeur-samouraï au grand courage. C'était une affaire de "loups". Vigoureux, sans scrupule et seuls face à l'adversité. Répondant à toutes les objections, résilients à souhait, adeptes du fameux "A-B-C" (always be closing). Désormais, le vendeur doit reconnaître où son client se situe dans son cycle d'achat. Fort de ce savoir, il doit savoir quelle tournure donner à la relation (doit-il ou non rentrer sur scène ? a-t-il des chances de gagner ?). S'il décide de monter sur scène, il doit imprimer un tempo à la relation pour aider le client à jouer sa propre partition ; il saura aussi quelles ressources mobiliser, à quel instant, pour quel bénéfice mutuel. Et si la chorégraphie est bien ordonnée, alors les pas du client s'enchaîneront à ceux du vendeur ; ils feront affaire.
Capturer. Pour comprendre comment ils pourraient tirer le meilleur parti de l'offre du vendeur, les clients s'enquerront de la façon dont d'autres organisations utilisent ses produits et/ou services. Il appartiendra au vendeur de savoir raconter les histoires qui en résultent. Et au-delà de son talent plus ou moins développé de narrateur, le vendeur jouera sa crédibilité sur sa manière de dire comment les clients utilisent son offre, dans quel contexte, pour quels résultats. Alors si ce savoir a été consigné au préalable, le vendeur sera en mesure de capturer l'attention de son interlocuteur client. Après signature du contrat, pour peu qu'il manifeste un intérêt sincère pour son client, le vendeur vérifiera à intervalles réguliers si ce dernier retire bien les bénéfices envisagés à l'origine. De cette démarche, il capturera de la connaissance de modalités d'utilisation. Cela lui permettra d'accroître son efficacité dans les ses actions de prospection à venir. Mais cela permettre aussi de développer une relation dans le temps avec son client. Pour le plus grand bénéfice des deux parties.
Trois "C" à nouveau. Mais pour une epxérience complètement différente. Car si la vente 1.0 pouvait s'apparenter à Verdun, la vente 2.0 ressemble plus au festival d'Avignon. N'en déplaise à ces messieurs de la Mitch & Murray !
Commentaires