Il y a quelques semaines, alors que j'intervenais chez un client, j'ai assisté à une scène un rien surréaliste. Devant une audience composée exclusivement de commerciaux, une jeune responsable marketing émit une supplique désespérée :
"De grâce, ouvrez et gérez les leads [NDLR : pistes de projets] que nous vous adressons. Sinon, on est mort !"
Pas la moindre réaction de la part des vendeurs ; ils restèrent de marbre.
On a beau dire, on a beau faire. Lorsque le marketing supplie les commerciaux de bien vouloir traiter les projets qu'il a identifiés, c'est qu'il y a quelque chose qui ne tourne pas rond. Comme je suis plutôt curieux de nature, je suis allé voir la responsable marketing (Marine) à la fin de la séance et de lui ai demandé de m'expliquer comment ils étaient organisés. Elle m'a expliqué comment, suite à la mise en place d'une organisation matricielle, elle s'est retrouvée à l'intersection de la dimension verticale [ campagnes & communication ] et de la dimension horizontale [ pays ]. Marine m'apprit aussi que les autres dimensions organisationnelles étaient [ produits & solutions ] d'un côté et [ canaux & alliances ] de l'autre.
Je lui demandai alors comment les commerciaux étaient mesurés. " Au chiffre d'affaires " , me répondit-elle. Je m'enquis alors de savoir s'ils étaient motivés à travailler avec certains canaux en particulier. Sa réponse fut négative. Je vérifiai alors s'ils étaient "incentivés" à la promotion de tel(le) ou tel(le) produit ou solution. A nouveau, sa réponse fut "non".
Tout s'expliquait. J'avais devant moi un exemple patent de désajustement stratégique complet entre ventes & marketing :
- Aucune dimension organisationnelle ne coïncidait avec un élément de mesure de la performance commerciale.
- La mesure de la performance marketing était associée à un indicateur (le nombre de leads générés) ne trouvant pas de correspondance dans la mesure de la performance commerciale (exprimée uniquement à l'aune du chiffre d'affaires réalisé).
Il y avait pire. Après plus ample investigation, je me rendis compte que la définition du lead dans cette société renvoyait au sempiternel PBT (Projet / Budget / Timing). Or, face à un projet identifié, il n'y a que deux cas de figure. Ou bien le commercial était au courant de son existence auquel cas ce n'est pas un lead, ou bien le commercial n'était pas au courant de son existence et auquel cas, le fait qu'il le soit désormais n'est pas franchement lui rendre service puisqu'il est vraisemblable qu'à ce stade, le client a déjà les idées claires sur l'identité du fournisseur avec qui il travaillera. Ceci pour expliquer l'attitude froide et indifférente des vendeurs en dépit du caractère poignant de la supplique de Marine.
Le nombre de leads générés était certainement une bonne mesure dans les années 90. A cette époque bénie, la demande était bouillonnante. Il était normal, en ce temps-là, de mesurer la performance des équipes marketing sur leur capacité à faire du bruit, à rameuter du prospect, à faire du lead. Mais aujourd'hui, la demande pour les produits de technologie s'est contractée alors même que l'offre s'est élargie. En outre, désormais, les moyens pour un prospect de se tenir informé sur telle ou telle technologie se sont considérablement accrus. Ce dernier a de moins en moins besoin du vendeur. Deux ou trois requêtes bien formulées dans Google lui apporteront plus d'informations que le fait d'assister à un séminaire. Du reste, demandez autour de vous. Tout le monde déplore la baisse considérable de fréquentation des salons professionnels, foires, tradeshows et autres expositions. Dès lors, il va sans dire que le nombre de leads généré n'offre qu'une pâle indication de l'efficacité d'un département marketing. A contrario, il est un domaine où la demande des commerciaux ne cesse de croître : disposer d'outils permettant d'avoir des conversations métier intelligentes avec des interlocuteurs de haut niveau appartenant à un éventail limité de fonctions. Mais là, rares sont les sociétés qui ont franchi le pas et abandonné la sacro-sainte division organisationnelle [ marketing produit ] [ marketing événementiel ] au profit d'un marketing structuré autour des fonctions ciblées commercialement (ex : CFO/DAF). Quant à la variable d'ajustement permettant d'aligner la fonction marketing avec la vente, ce serait tout simplement le nombre d'opportunités nouvelles générées au regard des critères reconnus valides en la matière puisqu'il s'agit de quelque chose de mesurable au niveau de l'exécution commerciale.
Cela tombe sous le sens, me direz-vous. Et pourtant, pouvez-vous me citer, dans le secteur high-tech opérant en B2B, des entreprises ayant fait ce pas ?
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