J’ai récemment été sollicité par le patron fondateur d’une start-up de l’édition logiciel qui souhaitait améliorer sa performance commerciale. Ses logiciels étaient destinés à une population de chercheurs sur un marché de niche : celui de la sélection génétique des végétaux. Compte tenu de la population ciblée, il était persuadé que pour vendre ses produits, il fallait être à la fois un expert en biologie végétale et disposer d’une connaissance aiguë des fonctionnalités de son application. Résultat : dans la société, il était seul à pouvoir jouer le rôle de vendeur. Cela lui posait un double problème. D’un côté, son statut de PDG faisait qu’il ne pouvait pas se concentrer à 100% à la vente. En outre, il sentait confusément que le développement commercial de sa société passait par la déspécialisation, c’est-à-dire le fait que la vente des produits de la société puisse être assurée par des non-experts.
Un an plus tôt, afin de tester la démarche de déspécialisation, il avait recruté un commercial. Trois cycles de vente plus tard, les résultats n’étaient pas au rendez-vous. Le nouveau commercial n’avait pas réalisé le moindre euro de chiffre d’affaires.
Nécessité faisant force de loi, notre DG – fondateur mit fin au contrat de travail de son vendeur. Conséquence logique : il reprit sa casquette commerciale et quelques mois plus tard, les ventes décollaient de nouveau. Dans son esprit, cela suffisait à confirmer la croyance dans la nécessité d’être un expert métier pour vendre. Le cercle de la prophétie autoalimentée (self-fulfilling prophecy) était en marche. Pire. Devant son impossibilité de se cloner ou tout simplement de transférer son savoir-faire, notre DG devait désormais se résigner à plafonner ses aspirations de revenus à hauteur du temps qu’il pouvait consacrer à la vente.
La situation est-elle désespérée pour autant ?
En réalité, le dilemme vécu par notre DG fondateur est un grand classique chez les sociétés en création. J’ai ainsi observé que nombre de jeunes pousses (start-ups) étaient soudainement arrêtées dans leur développement parce qu’elles ne parvenaient pas à se construire une culture commerciale autonome. Les pères fondateurs –souvent des experts dans un domaine métier très spécialisé– avaient la plus grande difficulté à transférer leur savoir-faire auprès de commerciaux n’ayant pour seul bagage qu’une solide expérience de la vente dans des domaines plus ou moins connexes.
Dans un registre opposé, je me rappelle la façon dont s’est déroulée mon intégration lorsque, en 1994, j’étais rentré comme responsable régional des ventes chez un éditeur de logiciels décisionnels. J’avais pour mission de développer l’activité from scratch sur le territoire de l’Europe du Sud. Dès mon premier jour d’activité, mon responsable d’alors me sensibilisa au modèle de vente de l’éditeur. Il me le présenta sous l’angle du cycle de vente idéal, c’est-à-dire en mettant l’accent sur les points suivants :
· Quelles personnes voir chez le prospect et dans quelle séquence ?
· Quels messages véhiculer auprès de chacun des interlocuteurs ciblés ?
· Comment aider le client à construire sa propre proposition de valeur ?
· Quels points de passage clés considérer (exemple : fourniture de la preuve) ? Quand et pour quoi faire ?
· Comment vérifier si on est en pole position ?
· A quel moment négocier l’accord final ?
A l’issue de cette présentation du cycle de vente idéal, mon responsable m’avait ensuite raconté des histoires de contextes d’utilisation de la technologie en question. Puis, il m’avait facilité les contacts avec un éventail de personnes susceptibles de m’aider dans l’apprentissage de mon nouvel environnement de travail. Enfin, il m’avait indiqué une liste d’outils disponibles pour étayer ou approfondir tel ou tel point de la démarche commerciale.
En l’espace d’une seule demi-journée, il m’avait procuré 2 clés essentielles pour avancer :
· A travers le récit des success stories ou réalisations probantes, je savais pourquoi les clients achetaient
· Grâce à l’exposé du cycle de vente idéal, je savais comment les clients achetaient.
Equipé de ces deux clefs, je pus mettre le pied à l’étrier immédiatement. Dès le premier trimestre d’activité chez cet éditeur, je fus en situation de dépasser mon objectif de chiffre d’affaires.
Et vous ?
1. Savez-vous décrire pourquoi vos clients achètent vos produits ? Pouvez-vous nous faire le récit de la façon dont vos clients utilisent vos produits ? Pouvez-vous nous raconter quels objectifs ils sont en mesure d’atteindre et quels bénéfices quantifiés ils retirent de cette utilisation ?
2. Savez-vous décrire comment vos clients achètent vos produits ? Pouvez-vous individualiser les étapes principales de leur démarche d’achat ? Etes-vous en mesure de les ordonner dans le temps selon une séquence logique ?
Si vous savez répondre à ces deux questions clefs, si vous pouvez documenter le savoir qui en résulte, vous avez alors la capacité de le transmettre. Ce faisant, vous pourrez embaucher des commerciaux avec la certitude paisible qu’ils disposeront des moyens de répliquer vos succès passés. Peu importe le niveau d’expertise de vos nouvelles recrues dans le domaine sur lequel vous intervenez. En sachant pourquoi vos clients utilisent vos produits et comment ils les achètent, vos commerciaux auront l’essentiel. Le reste, comme l’aisance situationnelle, la familiarité avec le secteur d’activité ou les fonctions ciblées, ils auront tout le loisir de les développer au gré de leurs interactions en clientèle.
Quant à vous, en votre qualité de DG, en transférant votre savoir-faire de cette manière, vous vous serez affranchi de la nécessité d’être sollicité sur tous les coups. Vous aurez conquis de nouveaux espaces de liberté tout en donnant à votre entreprise l’impulsion nécessaire à son développement commercial.
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