Régulièrement, ma mère me pose la question de savoir si je ne regrette pas de m'être "fourvoyé" dans les métiers de la vente et si j'y trouve suffisamment d'agrément pour compenser son inanité présumée. En général, je lui réponds de façon lapidaire. Je ne cherche pas à entamer une discussion sur les mérites comparés des métiers de la vente par rapport à d'autres professions. Pourtant, ce faisant, j'ai bien conscience de laisser perdurer le stéréotype de la vente comme métier de seconde zone, réservé à ceux qui, après avoir échoué partout ailleurs, n'auraient plus que "ça" comme dernier moyen de subsistance.
Comment lutter contre une croyance aussi fermement ancrée dans les esprits ? Qui, parmi vous qui lisez ce billet, a eu une mère claironnant fièrement, alors que vous étiez petite fille ou petit garçon : "J'aimerais tant que mon enfant devienne commercial à l'âge adulte" ? Comme je n'ai peur de rien aujourd'hui, je paye mon coup à boire à celui ou celle qui m'affirmera avoir fait cette expérience dans sa prime jeunesse.
Dans son livre Le retour du hooligan, Norman Manea décrit comment il a traversé le fascisme puis le communisme dans son pays, la Roumanie. Il y parle de sa mère aussi :
" Rien n'exprimait de façon plus flagrante la relation qu'entretenait ma mère avec la société nouvelle que le "commerce socialiste", contradiction dans les termes et réalité surréaliste. Je ne compris que tardivement la complexité de l'antique métier auquel on identifiait avec mépris, dans le passé, dans le présent et pour l'éternité, mes coreligionnaires ; et que ce qui fait le commerçant véritable, c'est l'intelligence, le sens du risque et de la négociation, le travail pénible et sans relâche, le souci de conserver sa réputation. "
Commercer est un métier. C'est faire oeuvre de paix aussi. Du reste, en hébreu comme en français les mots payer ( שלם ) et paix ( שלום ) partagent les mêmes racines étymologiques. De là sans doute l'obstination d'Abraham à payer au prix fort à sa femme, Sarah, ce qui sera sa dernière demeure, un havre de paix "dans le caveau de Makpéla, en face de Mamré" (Gn 23, 18-20).
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Crédit photographique : Stéphanie Mausset
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