Dans la foulée du billet sur l'économie du gratuit, je ne résiste pas au plaisir de partager avec vous la chronique que Françoise Benhamou a présentée sur France Culture le 28 décembre 2007, dans le cadre de l'émission 'Masse Critique' animée par Frédéric Martel et consacrée au industrie culturelles. Vous en trouverez ci-dessous le verbatim.
------
Frédéric Martel (FM) - France Culture Masse Critique. Dernière séquence de cette émission consacrée au décryptage de l'actualité et de l'économie des industries culturelles. On commence par la chronique de Françoise Benhamou. Bonjour Françoise.
Françoise Benhamou (FB) - Bonjour Frédéric et bonjour à tous.
Anne Sweeney [photo ci-dessus], présidente de Disney ABC Television Group déclarait à Cannes lors du MIDCOM : " Nous comprenons maintenant que le piratage est un modèle économique. Le piratage existe pour servir un besoin dans le marché pour les consommateurs qui veulent du contenu de télévision à la demande. Les pirates se font concurrence de la même façon que nous, à travers la qualité, le prix, la disponibilité. Nous n'aimons pas ce modèle, mais nous réalisons qu'il est assez concurrentiel pour en faire de plus en plus un concurrent majeur ". Et elle ajoutait : " La meilleure façon de concourir est de rendre les séries télévisées disponibles dans les 24 heures suivant leur passage à la télévision ".
Le Centre National de la Cinématographie (CNC) vient de publier une étude très fouillée ( téléchargez ici l'étude au format pdf ) sur les nouvelles formes de consommation des images, qu'il s'agisse de TNT (télévision numérique terrestre), de TVIP (télévision transmise via internet), de VoD (video on demand), de sites de partage ou... de piratage.
Ce qui ressort en premier, ce sont la multiplication des canaux et la variété des écrans, qui vont de la télévision traditionnelle à l'ordinateur, au baladeur et au téléphone mobile. La vieille télé est cernée de toutes parts. Le spectateur, devenu maître des cérémonies cathodiques et numériques, fait son menu s'il le souhaite.
Bien sûr, cette liberté a un coût : celui de l'équipement nécessaire à l'accès en face duquel le prix des contenus semble ne pas compter. Des contenus, justement, parlons-en. Il y a d'abord les contenus gratuits et légaux, en premier lieu. L'offre gratuite de télévision est apparemment plus riche qu'auparavant, encore qu'on peut se demander si la multiplication du nombre des chaînes sert vraiment la diversité. Mais il y a aussi la "catch up TV" ou télévision de rattrapage, qui permet de visionner une émission qu'on a manquée lors de sa diffusion. L'étude note que le téléspectateur accepte, sans trop rechigner, de payer pour une télévision à la carte, ajoutant, si l'envie lui en prend, une chaîne à l'unité à son abonnement payant. En revanche, les bouquets larges le laissent plus perplexes.
Payer, certes, mais pas trop quand même. Et nous voilà donc dans le monde de la gratuité... Les sites de partage de vidéo complètent le besoin d'images dans une ligne de partage fluctuante, mal dessinée, entre le légal et l'illégal. C'est ce que les auteurs appellent, avec beaucoup de justesse, la piraterie douce. On regarde en streaming - en continu, sans télécharger - des contenus piratés sans vraiment prendre la mesure de ce que l'on transgresse le droit. Le piratage se banalise ainsi dans un entre-deux, qui attire d'autant plus que le caractère illicite de l'activité n'est pas vraiment perçu.
De cette piraterie douce à la piraterie de masse, il y a presque un continuum des étapes franchies, d'autant plus aisément que l'avancée des technologies facilite l'acte de télécharger.
Frédéric Martel (FM) - Est-ce qu'on a une idée, Françoise, de ce que représentent les ventes légales et les ventes illégales ?
Françoise Benhamou (FB) - Selon un rapport publié par INFORMA TELECOMS & MEDIA, les ventes de films sous forme de fichiers numériques devraient représenter près d'un milliard de dollars en 2010, contre seulement 11,7 millions en 2004. Le problème, c'est que le même rapport évalue le manque à gagner pour l'industrie du film qui résulte du piratage sous la forme de fichiers numériques sur les réseaux peer to peer à 1,7 milliard de dollars en 2010. A cela, il faudrait rajouter le piratage sous la forme de copies DVD et autres médias, soit 4,5 milliards de manque à gagner, toujours en 2010.
Face à cela, Disney a proposé - bien modestement vu l'ampleur du problème - que les DVD distribués pour les Oscars soient protégés par des techniques nouvelles de cryptage. Mais sortir par le haut du piège du piratage, c'est surtout construire une offre suffisamment attractive en termes d'accès, de référencement, de prix, de disponibilité des oeuvres. Dans la course-poursuite entre pirates et majors, seule cette voie est fructueuse. Est-ce la voie que suivront les majors ?
Affaire à suivre en 2008 !
Commentaires