En raison de mon passage à la fonction de directeur marketing, il m'arrive assez fréquemment d'être sollicité autour de thèmes comme la formalisation de la proposition de valeur, ou la définition d'outils d'aide à la vente comme des présentations standard, des argumentaires de vente, ou encore des fiches de réponse à objections déclinées par concurrent. Ces demandes ont le don de me mettre mal à l'aise. En effet, elles me mettent en porte-à-faux puisque, d'un côté, je sais comment donner techniquement satisfaction à mon client, mais que, par ailleurs, je reste intimement convaincu par la faible valeur opératoire de ce genre d'outils.
Jusqu'à il y a peu, face à ce type de sollicitation, je tentais, par un jeu de questions orientées, de faire visualiser à mon interlocuteur combien une utilisation "mono-directionnelle" [c'est-à-dire, à des fins de présentation] de ces outils pouvait desservir les intérêts de la société et porter préjudice à l'efficacité de la démarche commerciale.
Cela donnait lieu à des dialogues comme celui-ci :
- (Moi) Dans quel contexte envisagez-vous l'utilisation de ces outils ?
- (Interlocuteur client) Je veux que les commerciaux utilisent ces outils durant les entretiens de qualification. A cette occasion, ils doivent être en mesure de présenter tant notre société que notre offre. Je veux aussi qu'ils soient autonomes dans la réalisation de démonstrations et qu'ils sachent notamment, à cette occasion, mettre en avant nos points de force en termes de différenciation concurrentielle.
- (Moi) Selon vous, il faudra combien de temps au commercial pour présenter la société, l'offre, puis faire la démo ?
- (Interlocuteur client) Environ 45 minutes.
- (Moi) En général, quelle est la durée moyenne des meetings que vos commerciaux ont en clientèle ?
- (Interlocuteur client) Autour d'1 heure.
- (Moi) Cela laisse donc 15 minutes pour qualifier le besoin client. Est-ce suffisant selon vous ?
- (Interlocuteur client) Non, bien sûr !
Imparable, me direz-vous ? A voir. L'expérience m'a montré combien il était difficile de faire changer quelqu'un d'avis, surtout si cela impliquait de modifier un certain nombre de croyances fortement ancrées.
Désormais, je sais que je m'y prendrai autrement.
En effet, par le plus grand des hasards, je viens de me rappeler une histoire survenue aux Etats-Unis pendant la deuxième guerre mondiale. Au début de la guerre, le pays se trouva confronté à une sérieuse pénurie de viande. Dans ce contexte de rationnement, l'administration fédérale considéra qu'il fallait convaincre les ménagères américaines de changer leurs habitudes culinaires et alimentaires. Plus précisément, il fallait les amener à acheter et à cuisiner des plats à base d'abats. Or, cela causait une profonde répugnance à la grande majorité d'entre elles. Dans un premier temps, l'approche choisie se voulut essentiellement pédagogique. Une série de conférences fut organisée pour présenter avec force chiffres et preuves factuelles, les vertus nutritives des abats. Or les résultats de cette méthode furent décevants : seules 3% des ménagères changèrent de comportement au profit de la consommation d'abats. Pour surmonter cet échec, l'administration fit appel au psychologue Kurt Lewin. Ce dernier préconisa une méthode tout autre, plus participative. Au lieu des présentations formelles, Kurt Lewin privilégia l'organisation de discussions interactives pendant lesquelles les ménagères échangeraient sur les avantages, les inconvénients et les différentes façons d'accomoder les abats. A la suite de ces échanges, les résultats observés furent spectaculaires, puisque 100% des participantes se déclarèrent prêtes à acheter des abats et 32% le firent effectivement dans les semaines suivantes.
La morale de cette histoire, c'est que si vous désirez voir se manifester un changement de comportement chez votre interlocuteur - et c'est le cas à chaque fois que vous vendez - une approche qui se limite à présenter (le fameux slide-deck de 80 disapositives ou la démonstration standard scriptée) est vouée à l'échec dans la très grande majorité des cas. En revanche, si, durant votre acte de vente, vous vous assurez de la participation des intéressés à la définition de la "solution", c'est-à-dire de l'éventail des facultés élémentaires autour desquelles ils moduleront leur changement de conduite, alors vous mettez toutes les chances de succès de votre côté.
Autrement dit, les seules connaissances qui puissent influencer le comportement d'un individu sont celles qu'il découvre lui-même et qu'il s'approprie. Pour en arriver là, présenter est inopérant. Seule fonctionnera une démarche participative ou interactive de développement de solution, fondée sur un véritable échange, une conversation sans fard.
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