Dans son dernier livre, Les Années, Annie Ernaux raconte sa vie à la troisième personne du singulier entre sa naissance dans les années 40 et aujourd'hui. Faut-il y voir une marque d'affectation ? Non. Ce serait plutôt une façon élégante et pudique de suggérer au lecteur la difficulté qu'elle a pu éprouver à marquer de son empreinte personnelle l'écoulement du temps.
Deux thèmes reviennent comme un leitmotiv dans ce livre.
D'un côté, il s'agit de la distorsion progressive du temps en un éternel présent : au fil des années, la mémoire se raccourcit, le lien avec le passé s'estompe. Progressivement, nous voilà atteints d'amnésie collective, laissant aux seuls médias le soin de meubler notre imaginaire.
En parallèle, Annie Ernaux évoque comment les objets qui nous entourent saturent l'espace. Il y a notamment cette phrase que j'aime et qui décrit si bien le phénomène : " La profusion des choses cachait la rareté des idées et l'usure des croyances " (p. 91). Et dire que l'auteure associe cette phrase aux années 80...
Finie l'époque où " on avait le temps de désirer les choses " , révolue celle où " leur possession ne décevait pas " (p. 43). Désormais, le temps commercial viole (...) le temps calendaire et tout semble accablant.
Dans un autre style, Jacques Attali raconte la même chose dans son célèbre rapport sur les 300 décisions pour changer la France : " Alors que notre époque requiert du travail en réseau, de l'initiative et de la confiance (...) tout est contrôlé dans un climat de méfiance générale " (p. 8).
Bienvenue donc dans l'économie de la suspicion, de la défiance !
Car si notre temps disponible se réduit à vue d'oeil à force de nous voir martelés par des messages douteux d'incitation à la consommation à outrance, nous perdons progressivement confiance vis-à-vis de ceux qui nous promettaient le bonheur dans la possession des objets.
Manque de confiance et de disponibilité d'esprit d'un côté ; engorgement d'objets et cacophonie médiatique de l'autre.
Comment sortir de cette impasse ?
Annie Ernaux donne la réponse en négatif dans Les Années : " Dans la vivacité des échanges, il n'y avait pas assez de patience pour les récits " (page 230).
Quoi de mieux en effet qu'une histoire bien racontée pour aider à comprendre la complexité, pour susciter le désir et le laisser maturer. Quoi de plus approprié qu'une narration pour surmonter les obstacles liés à une décision d'achat impliquant un changement ?
Les grands vendeurs sont ceux qui savent le mieux raconter des histoires. Mais pas n'importe lesquelles : des récits qui inspirent la sincérité et qui reflètent la compétence de celui qui leur donne vie avec sa voix. Sincérité et compétence : tels sont selon Stephen Covey les deux piliers sur lesquels repose la notion de confiance.
J'aurai l'occasion de revenir plus amplement sur le sujet pour évoquer notamment les règles à respecter afin que le récit suscite chez son destinaire suffisamment d'intérêt pour que les conditions soient réunies à l'instauration d'une véritable conversation.
Cela nous conduira sur les traces du grand Aristote quand il lui vint l'idée de codifier le théâtre.
D'ici là, si vous voulez voir ce que j'entends par une belle histoire, je vous invite à suivre ce lien.
A suivre, donc.
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