Les progrès récents effectués dans les neurosciences mettent en lumière les mécanismes subtils sur lesquels se construisent la convergence de vue entre individus ne se connaissant pas. Comme on pouvait s'y attendre, ces mécanismes font plus appel aux échanges de signaux non-verbaux et à l'imitation comportementale qu'à l'apport d'information explicite ou à la beauté d'une argumentation.
Un article paru récemment dans le New York Times et signé Benedict Carey est tout ce qu'il y a de plus éclairant en la matière. Je vous en livre ci-après une traduction de mon cru.
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L'art de la persuasion dépend de la qualité du contact visuel. Mais attention, il ne s'agit pas de n'importe quel contact. Si une personne affectionne des contacts brefs et répétés alors que son vis-à-vis est du genre à lui rendre un regard pesant et insistant, il y a fort à parier que le courant ne passera pas, même s'ils ont tous les deux aimé le film qu'ils viennent de voir. Le rythme est essentiel.
De la même façon, la cadence de la voix compte énormément. Les personnes s'exprimant d'une voix puissante et usant d'une gamme riche de modulations ont tendance à bien s'entendre avec des individus présentant des caractéristiques identiques. A l'inverse, les gens qui s'expriment de façon posée se sentiront mieux dans un environnement sans éclat de voix.
"Moi-même, je suis extrêmement sensible à la position des corps", indique Ray Allieri, un ancien dirigeant d'une entreprise de télécommunications disposant d'une expérience de plus de 20 ans dans la vente et le marketing. "Si mon vis-à-vis est en retrait sur son siège, je m'ajuste à lui et fais de même de mon côté. Pareillement, si mon interlocuteur est penché en avant avec les coudes sur la table, j'ai naturellement tendance à me rapprocher de lui."
Les psychologues ont étudié l'art de la persuasion depuis maintenant près d'un siècle, à travers l'analyse des activités de propagande en politique, de campagnes publicitaires à la TV ou de la vente porte-à-porte. Selon les résultats de ces études, les facteurs influençant l'appétence des personnes sont nombreux, allant du degré d'exclusivité associé au message perçu à la prise en compte des décisions d'achat du voisinage immédiat.
Mais la plupart des personnes sont aussi sensibles au charme émanant directement de la personne leur faisant l'article. Dans des études récentes, les chercheurs ont pu décoder les éléments tacites, les subtils non-dits qui rentrent en ligne de compte pour justifier un comportement d'achat.
Ils ont trouvé que la qualité du contact entre des personnes ne se connaissant pas auparavant dépendait étroitement de leur capacité à se synchroniser à travers l'échange de mots et de gestes familiers aux deux parties, c'est-à-dire de leur aptitude à faire preuve de mimétisme comportemental.
En décortiquant ce processus de mimétisme, les chercheurs ont pu mettre en évidence les règles implicites sur lesquelles reposaient la décision d'achat ; ils ont aussi pu montré combien ces interactions pouvaient servir à développer ses propres compétences en matière d'aisance sociale, voire à servir de champ d'entraînement pour tester des pratiques inédites.
"Les meilleurs vendeurs et les plus grands artistes se donnant en public ont ces savoir-faire et en disposent de longue date", affirme Jeremy Bailenson, un chercheur en psychologie de l'université de Standford en Californie. "La seule chose que nous faisons maintenant, c'est de mesurer et de décrire scientifiquement leur comportement, qu'il soit conscient ou non."
Le mimétisme est l'un des comportements les plus communs et les plus reconnaissables dans le règne animal. De la même façon que les bébés singes apprennent à monter aux arbres en imitant les singes adultes, les enfants reproduisent les mots et les gestes de leurs parents.
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Lors d'une expérience récente, Rick van Baaren, un spécialiste en psychologie de l'université de Nimègue aux Pays-Bas a demandé à ses étudiants de participer à une enquête visant à donner leur opinion sur une série de publicités.
Un membre de l'équipe passait son temps à imiter la moitié des participants lorsqu'ils parlaient, s'ingéniant à singer la posture et la position de leurs bras et de leurs jambes en prenant bien garde de ne pas se faire repérer. Quelques minutes plus tard, l'expérimentateur laissait tomber 6 pièces de monnaie sur le sol, comme par mégarde.
Dans nombre d'itérations de cette simple séquence, les participants qui avaient été singés étaient 2 à 3 fois plus enclins à ramasser les pièces que leurs collègues non imités.
L'exercice de mimétisme avait non seulement augmenté la propension des étudiants à manifester de la bénévolence vis-à-vis d'autrui, il avait aussi suscité un état d'esprit général orienté vers la recherche du bien collectif.
Toute conversation amiable met amplement en évidence l'émergence de ces traits sociaux. Le sourire est contagieux ; les accents se transmettent d'une personne à l'autre. Des intonations typiques de la terre ou l'accent rocailleux d'un Irlandais peut infester un Newyorkais bon teint en moins de 10 minutes au téléphone.
"Il m'est arrivé de me surprendre moi-même à parler avec l'accent du sud", affirme M. Allieri. "Or, c'est absurde, puisque je suis de Boston. Je crois que les meilleurs vendeurs ont un véritable talent pour détecter rapidement les tics comportementaux chez l'autre et à les intégrer à leur propre façon d'être sans même avoir à y penser."
C'est une chose de se mouvoir comme un poisson dans l'eau dans l'océan des conversations, sans même avoir à y réfléchir ; c'en est une autre d'utiliser de façon consciente ce savoir faire afin de déclencher chez l'autre un comportement d'achat.
Pourtant, le minétisme social aussi a ses travers. Poussé à l'extrême ou pratiqué sans doigté, le mimétisme tourne vite au ridicule. Les résultats d'études préliminaires sur ce sujet laissent entendre que les règles du jeu changent dans le cas où il existerait un fossé culturel important entre les personnes. Dans les autres cas de figure, cependant, un mimétisme subtil est vécu comme une forme discrète de flatterie et revêt le charme des premiers pas d'une danse de séduction.
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Récemment, alors que j'animais une formation à l'attention d'un groupe de commerciaux britanniques et que nous abordions le volet relatif à la prospection téléphonique, l'un des participants m'indiqua avoir obtenu des résultats spectaculaires en se contentant de singer la voix de son interlocuteur. Il joignit l'acte à la parole et nous nous mîmes à contrefaire des conversations de prospection avec des interlocuteurs stéréotypés. De façon étonnante, nous nous aperçumes collectivement combien le contenu des propos échangés importait peu au profit de la qualité des signaux non-verbaux échangés. La tonalité, le volume, la rapidité, le rythme, l'accent : voilà ce qui comptait !
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