La vente de biens immatériels comme par exemple des logiciels d'entreprise (business-to-business ou B2B) comporte une difficulté majeure : connecter l'acte de vente au métier de l'organisation cliente. Durant les cours de vente que j'anime, je répète inlassablement qu'en l'absence d'un enjeu métier partagé par le client, cela ne vaut pas la peine, côté vendeur, d'investir le temps et les ressources nécessaires pour complaire aux exigences du client. En effet, un client qui ne partagerait pas ses enjeux métier dans le contexte de sa relation avec un vendeur créerait -sciemment ou non- une situation de déséquilibre dans l'échange d'informations. Cette situation, assez fréquente, renvoie en général à deux cas de figure malheureux pour le vendeur selon que le client soit ou non dans une démarche de recherche de solution :
Cas n°1 : le client est clairement engagé dans une démarche d'achat. Il a choisi son fournisseur, mais il lui importe d'orchestrer une mise en concurrence plus ou moins factice pour justifier en interne qu'il a effectué le meilleur choix possible après avoir analysé l'ensemble des alternatives offertes sur le marché. Résultat : il sollicite le vendeur au moment de l'évaluation, lui fait miroiter une série de faits agréables à l'oreille (existence d'un projet, d'un budget, d'un calendrier de décision, etc) et exige une présentation, une maquette ou une proposition dans des délais impossibles. Normal, me direz-vous, puisqu'il est pressé. Pourtant, si le vendeur s'enquiert de savoir quels sont les tenants et aboutissants du projet, le client se montrera soudain évasif. Il vous assènera un lapidaire "vous en saurez plus au moment opportun", qui ne manquera pas de vous laisser un goût amer dans la bouche. Parfois, il se montrera plus direct avec un "Ce ne sont pas vos affaires. Faites votre travail, nous faisons le nôtre !"
Cas n°2 : le client n'est pas dans une démarche d'achat. Le client n'a pas de projet clairement identifié, mais certaines personnes de l'organisation ont entendu parler de quelque chose de "chaud" et elles aimeraient bien en savoir plus sur la question. Résultat : on appelle le vendeur, on lui fait miroiter des perspectives mirobolantes pour peu naturellement, qu'en juste retour des choses, il soit en mesure de fournir des présentations, des maquettes et tout autre élément prétendument censé aider à convaincre la maîtrise d'ouvrage. Naturellement, il n'y aura pas de décision à la clé, puisqu'il n'y avait pas de projet et encore moins d'enjeu. Le vendeur a fait office d'agent d'évangélisation : il a permis au client de se former à bon compte et au meilleur coût, j'entends, gratuitement.
Dans les deux cas de figure, nous sommes en présence d'un jeu de dupe dont le vendeur est la victime. En effet, il effectue un investissement significatif en temps et en ressources pour un résultat... nul.
Récemment, j'ai eu l'occasion d'échanger sur ce thème avec Bertrand Duperrin, consultant chez blueKiwi et expert dans l'art et la manière d'accomoder les nouvelles technologies de l'internet (blogs, wikis, mashups, flux RSS, réseaux sociaux d'entreprise) pour accompagner voire favoriser l'émergence de nouvelles pratiques managériales. Bertrand et moi étions d'accord sur la nécessité absolue de connecter toute initiative Web 2.0 avec les enjeux métier de l'organisation. Mais nous reconnaissions, aussi, combien cela pouvait être parfois difficile. La discussion pousuivant son fil, Bertrand m'a pourtant fourni une clé de lecture très utile pour expliciter cette nécessité : il m'a remis en mémoire les fameuses strategy maps popularisés par Robert S. Kaplan et David P. Norton. Au-delà de la représentation remarquable offerte pas ces cartes puisqu'elles aident à synthétiser en 1 seule page la stratégie d'une entreprise en mettant l'accent sur les flux d'interdépendance, il est un point qui m'a frappé tout particulièrement. C'est le sous-titre que Kaplan et Norton ont donné à l'ouvrage écrit pour expliciter leur démarche : "Strategy Maps: Converting Intangible Assets into Tangible Outcomes" à savoir, "Cartes stratégiques : convertir des actifs immatériels en résultats tangibles".
Convertir des actifs immatériels en résultats tangibles. C'est bien de cela qu'il s'agit : décrypter le chemin qui conduit de l'immatériel (le logiciel, l'idée, la conversation) au tangible (le résultat observable sur l'une des variables économiques clés de l'organisation). Ce lien existe ; c'est celui qui unit les processus avec les trois piliers des actifs immatériels. Mieux, il préexiste à toute décision d'achat, puisque désormais il ne viendrait à l'esprit de personne, dans quelque organisation que ce soit, d'engager des investissements de plusieurs centaines de milliers voire de millions d'euros sans l'existence d'un enjeu métier de premier ordre à satisfaire.
Dans une démarche sincère d'achat et pour peu, bien entendu, que le vendeur sache se comporter comme un interlocuteur digne de confiance, le client n'aura aucun mal à associer une initiative de recherche de technologie avec l'enjeu métier qui le sous-tend. Il cherchera à comprendre en quoi les facultés suggérées par le vendeur contribueront à une meilleure performance autour de ces processus. Il ira jusqu'à estimer les bénéfices qu'il est en droit d'attendre de ces améliorations. Comme un climat de confiance fort se sera instauré entre le client et le vendeur, l'exercice se fera à deux. L'enjeu étant clair, le jeu n'en sera que plus plaisant et plus riche pour les deux parties.
A l'inverse, si le client se montre intraitable et refuse de dévoiler l'objectif métier qui préside à l'évaluation de tel ou tel produit ou service, le vendeur aura alors à se poser très clairement la question de savoir si ça vaut la peine de jouer. En effet, en l'absence d'enjeu connu, le vendeur a toutes les chances d'être hors-jeu dans le meilleur de cas, la dupe ou le dindon de la farce dans le pire des cas... mais perdant dans tous les cas.
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