Lorsque j'anime des séminaires de vente et que je pose la quesion sur les qualités primordiales que doit posséder un bon vendeur, j'obtiens systématiquement des réponses sur l'air de "posséder un bon relationnel", "savoir faire preuve d'empathie", "inspirer la sympathie et par là même la confiance". Aussi étonnant que cela puisse paraître, ces réponses me mettent plutôt mal à l'aise. La raison en est assez simple. Elles renvoient à un stéréotype du vendeur qui m'agace : celui du beau gosse, bien fringué, un sourire permanent accroché à ses babines et des dents blanches à faire pâlir d'envie les mannequins stipendiés pour faire la publicité ultra brite. On n'est pas loin de l'idée que pour vendre, une jeunesse bien gaulée portant minijupe, bas résille et talons aiguilles constitue le meilleur argumentaire commercial.
Adam Galinsky de la Kellogg School of Management à Chicago et ses collègues viennent justement de publier les résultats de l'étude consacrée à ce thème. Les résultats, repris dans l'édition du 1er mai de The Economist, sont éloquents : toutes choses égales par ailleurs, les commerciaux faisant appel à l'intelligence de leurs interlocuteurs ont des performances de 50 à 100% supérieures par rapport à ceux qui déploient des trésors d'empathie.
Adam Galinsky et ses collègues ont réalisé une série d'expériences sur un échantillon de 150 étudiants venant tout juste de s'inscrire à un cours de 10 semaines sur la négociation. Ils étaient donc novices en la matière. Ils furent divisés en deux groupes. Le premier groupe devait jouer le rôle du vendeur d'une station-service ; l'autre se mettait dans la peau de l'acheteur potentiel. Les uns comme les autres avaient reçu consigne de parvenir à un accord. Là où les choses se corsaient, c'est que l'accord ne pouvait pas être trouvé sur la seule variable du prix de transaction. En effet, le maximum que l'acheteur pouvait mettre sur la table était inférieur au prix plancher - ou prix de réserve - que le vendeur était susceptible d'accepter. Il fallait donc faire preuve de créativité. Cela était rendu possible par le fait, qu'indépendamment de la vente de sa station-service, le vendeur avait à coeur de faire financer une croisière de plusieurs mois et souhaitait disposer d'un pied-à-terre une fois son trip terminé. Côté acheteur, un objectif important à atteindre tenait à l'embauche d'un gérant pour s'occuper de la station-service au quotidien.
Plus des 2/3 des épuipes engagées dans une négociation sont parvenus à un accord. Une première analyse des occurrences de succès permit d'établir que le facteur le plus discriminant dans l'obtention d'un résultat positif renvoyait à la capacité démontrée par les parties prenantes d'élargir la perspective au-delà de la seule variable du prix.
L'expérience fut ensuite reproduite, mais avec cette fois, les paires de négociateurs furent réparties en trois sous-groupes. Dans le sous-groupe dit des "cérébraux", les acheteurs recevaient la consigne de rechercher ce que le vendeur avait en tête, quels étaient les objectifs motivant sa décision de vendre sa station service. Dans le sous-groupe des "relationnels", les acheteurs étaient briefés sur la nécessité de comprendre les émotions qui animaient le vendeur tout au long de la négociation. Le troisième sous-groupe jouait le rôle de groupe de contrôle ; ils ne reçurent pas d'instructions particulières si ce n'est celle de jouer le jeu à fond. A nouveau, ce fut le groupe des "cérébraux" qui obtint le meilleur taux de réussite en termes de capacité à formaliser un accord (76%), suivi des "relationnels" (54%), puis du groupe de contrôle (39%).
Une troisième expérience fut organisée. Fort différente. Cette fois, la négociation mettait en présence un candidat en recherche d'emploi et un recruteur. D'entrée de jeu, la conversation tournait autour d'un grand nombre de variables et les protagonistes devaient naviguer entre ces variables pour trouver les meilleurs compromis possibles. Les résultats furent appréciés à l'aune de la capacité à maximiser l'utilité collective, c'est-à-dire, pour parler clair, à négocier un accord gagnant-gagnant. Dans ce contexte, 40% des "cérébraux" obtinrent le maximum de points possibles, contre 22% des "relationnels" et 12% seulement des individus appartenant au groupe de contrôle.
Cette étude vient à point nommé pour illustrer la supériorité de l'approche visant à concentrer la négociation sur l'appréciation rationnelle des intérêts des parties en présence et la recherche subséquente de compromis visant à maximiser le profit mutuel. Bien entendu, et c'est là le commentaire que j'apporte aux défenseurs du "tout rationnel", si alors que vous négociez sur le fond, vous êtes capable de mettre la petite touche d'empathie qui va bien, vous joindrez alors l'agréable à l'efficace. Le contentement des parties n'en sera que décuplé. En bon professionnel, vous aurez alors réussi à sceller un accord efficace (maximisant l'utilité mutuelle conçue comme le produit des utilités idividuelles) et équitable (minimisant la différence des utilités individuelles). Mais comme vous êtes ausi expert ès intelligence émotionnelle, vous aurez obtenu ce résultat en rajoutant ce je-ne-sais-quoi d'entregent et de finesse qui rend l'expérience inoubliable.
Surpris
Avez vous pratiqué la vente et combien d'années?
Lire d'Alain Berthoz la décision et de Antonio Damasio l'erreur de Descartes
Le cerveau triune de Maclean est donc inexistant en neurosciences?...0603333330
Raison, émotions et instincts - the buy button...
On se parle on se voit
Sauf pour cet article j'apprécie votre humour et subtilité
Rédigé par : Roland GROSSE | 21/06/2010 à 00:06
Merci pour votre commentaire.
Le débat entre vente-émotion & vente-raison est loin d'être enterré. Sur la base de mon expérience et de lectures diverses, il y a deux éléments d'apparence contradictoire à prendre en compte :
1. Les décisions se prennent de manière émotionnelle, puis sont justifiées par la raison
2. L'exploration des motivations rationnelles d'une décision de vente / d'achat constitue la technique la plus efficace qui soit pour maximiser le résultat de la transaction
Ces deux constats sont vrais l'un et l'autre. Et pourtant, ils sont contradictoires. Alors que ce passe-t-il ? Il y a tout simplement le fait qu'ils renvoient à deux moments différents de la vente.
La première maxime s'applique à la phase dite de développement de solution pendant laquelle le client scénarise, met en scène une solution à son problème. Durant ce moment précis de son cycle d'achat, il aura tendance à faire primer les émotions et à ne se servir de la raison que comme une justification a posteriori de ce que lui dictent ses émotions.
La deuxième assertion, en revanche, s'applique à la phase de négociation où, passée la phase de la négociation où les protagonistes vont tester les "frontières émotionnelles" de leur interlocuteur, ils vont ensuite chercher à maximiser l'utilité ou, pour parler plus simplement, les bénéfices de la transaction. La primauté est donnée alors à l'identification des variables de négociation, leur importance relative pour chacune des parties, la recherche des valeurs pivot, puis la recherche de compromis à travers l'échange croisé de concessions.
Deux maximes donc, mais pour deux moments différents de la vente.
Quant à la théorie du cerveau tri-unitaire de MacLean, que vous citez, il est important de souligner qu'en dépit de son caractère séduisant, elle n'a pas fait l'objet à ce jour de la moindre démonstration un tant soit peu scientifique.
Au plaisir de vous lire prochainement,
Jean-Marc
Rédigé par : Jean-Marc à Roland Grosse | 21/06/2010 à 04:53