Parmi les sujets sur lesquels je me trouve souvent en désaccord avec les dirigeants commerciaux, il y a celui de l'attitude à adopter lorsqu'on est invité à participer à une consultation formelle. En général, mes interlocuteurs considèrent la réception d'un appel d'offres et l'invitation qui en découle de participer à un processus d'évaluation comme une aubaine. Ils voient cela comme une nouvelle opportunité venant enrichir leur carnet d'affaires en cours.
De mon côté, j'estime que dans 95% des cas, il s'agit d'une mauvaise nouvelle. Car, il y a deux cas de figure. Si vous avez établi une relation commerciale avec le soumissionnaire de l'appel d'offres avant formalisation de ce dernier et pour peu que ce dernier n'appartienne pas à l'administration publique, cela signifie que vous n'avez pas fait un bon boulot lors du développement conceptuel de solution. Le client n'est pas encore au clair dans sa tête sur la solution conceptuelle ; il lance une consultation dans l'espoir qu'il pourra, chemin faisant, affiner sa vision en multipliant le nombre des prétendants. Et rien ne dit qu'à l'issue de ce processus, il soit en mesure de formaliser quelque décision que ce soit.
Dans l'autre cas d'espère - il n'y a pas eu de contact préalable avec le prospect avant réception de l'appel d'offres - c'est encore pire. Tout porte à croire que vous jouerez le rôle du lièvre. On vous donnera naturellement toutes les garanties verbales que la consultation est ouverte, sans a priori. Fort de ces bonnes paroles, vous allez mobiliser de nombreuses ressources pour complaire aux exigences d'un prospect très demandeur. Pourtant, vous aurez du mal à accéder aux personnes clés. Voire, dans certains cas, vous ne parlerez à personne côté client car on vous aura mis dans les pattes un consultant externe censé orchestrer la démarche d'évaluation. Après nombre de présentations, maquettes, prototypes, envoi de propositions multiples, rencontres avec les services achats, établissement de long lists, short lists, et j'en passe, vous découvrirez que votre présence ne se justifiait que pour servir de faire valoir à un de vos concurrents, déjà "choisi" avant rédaction et émission de l'appel d'offres et que vous n'avez servi qu'à aider le client à faire baisser les prix du fournisseur lauréat. Le tout gratuitement, dans la plupart des cas !
Voilà pour la persective interne, celle qui part du point de vue du fournisseur potentiel. Mais qu'en est-il côté client ? Avec ce changement de focale, la question réside désormais à savoir si l'extension du nombre de sociétés consultées constitue véritablement une aide au choix.
La réponse est non.
C'est tout au moins le résultat qui ressort d'une étude réalisée par Sheena Iyengar, spécialiste de la prise de décision et professeur de psychologie de l'université de Columbia à New York. Avec plusieurs collègues, il a analysé le comportement des salariés d'entreprises américaines se voyant proposés, à l'embauche, de souscrire auprès d'une mutuelle de protection sociale, prévoyance et retraite. Son a priori de base était que plus une société offrirait un panel large de mutuelles à ses nouveaux salariés, plus ces derniers avaient de chance de trouver le programme le mieux adapté à leurs besoins et donc, plus le taux de souscription serait élevé. Logique, non ?
Les résultats démentirent complètement cette hypothèse. Sheena et ses collègues découvrirent au contraire que plus le nombre de programmes proposé était élevé, plus le taux d'adhésion était faible. Lorsque la société proposait de choisir entre deux fonds de capitalisation, le taux de participation se montait à 75%. En revanche, lorsque le nombre de programmes se montait à 59, le taux de souscription totale chutait à 60%. Plus généralement, l'équipe de chercheurs en science du comportement trouva que pour chaque lot de 10 programmes ajouté à l'éventail de possibilités de choix offertes aux salariés, le taux général de souscription baissait de 2%.
Quel enseignement tirer de cette étude ?
J'en vois deux.
D'abord, contrairement à une idée reçue fortement ancrée dans nos consciences, multiplier les options n'aide pas à choisir. Dans le domaine de la prise de décision d'achat, profusion rime avec confusion.
L'autre leçon que je tire de tout cela, c'est que, du point de vue de l'offreur cette fois, il importe d'y regarder à 2 fois avant de se lancer corps et âme dans des réponses à appels d'offres. Et plus il y a de participants invités à la consultation, plus le processus d'évaluation des options sera long, complexe et onéreux pour le vendeur, plus il sera incertain pour le client. Comme le répète souvent mon collègue et ami Dan Ahrens de CustomerCentric Selling(R) : "Dans la vente, il y a deux vainqueurs. Celui qui remportera le contrat et celui qui se sera retiré de la consultation en premier" .
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PS : Si ce billet vous a plu et que vous souhaitez en découvrir plus sur ce paradoxe étonnant, je vous invite à écouter le show de Barry Schwartz lors de la conférence TED édition 2005. Dans cette vidéo, Barry illustre avec brio et humour l'idée selon laquelle le choix, loin de nous libérer, serait facteur de stress et de paralysie. C'est ici.
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