Dans le billet intitulé "Erreur de design de processus n°1 : la proposition", je mets l'accent sur le fait que l'établissement et/ou la remise de la proposition ne devrait ***JAMAIS*** constituer une étape du processus de vente pour la simple raison qu'aucune proposition n'a jamais aidé un client à progresser dans sa démarche d'achat.
Dans ce même billet, j'évoque aussi la stratégie mise au point par l'un des commerciaux les plus brillants de l'école de vente IBM - Ross Perot - consistant à signer des contrats de plusieurs millions de dollars sans émettre de proposition. Il s'agit de la proposal avoidance strategy ou stratégie d'évitement de rédaction de proposition.
Hier, Cyril Chabanier me laisse un commentaire où il me demande des éclaircissements sur la démarche mise au point par Ross Perot. Il me rappelle en passant - et fort justement - que je m'étais engagé à vous livrer plus d'informations sur ce sujet. C'est l'objet du présent billet.
Quelques questions & réponses simples tout d'abord.
Pourquoi, dans la position du vendeur, faut-il se méfier comme de la peste du client demandant à brûle-pourpoint : "pouvez-vous me faire une proposition ?". Simplement, parce qu'une fois la proposition remise, le vendeur perd tout contrôle sur le cycle de vente. Le client dispose désormais de toutes les informations utiles vous concernant ; il n'a plus besoin de vous.
Quand une demande de proposition de la part du client est-elle légitime ? Pas avant que le client et vous, vous soyez entendus autour des trois points suivants :
1. Le client voit clairement comment il va utiliser vos produits & services dans le contexte d'atteinte d'objectifs métier bien précis. C'est ce que j'appelle la solution conceptuelle d'achat ;
2. Le client sait clairement comment il va -avec ou sans votre concours- mettre en oeuvre la solution conceptuelle. C'est ce que j'appelle la solution de mise en oeuvre ;
3. Le client sait comment justifier l'investissement relatif à la mise en oeuvre de vos produits & services et sait comment libérer les fonds nécessaires. C'est ce que j'appelle la justification de valeur.
Les deux questions/réponses ci-dessus mettent en évidence un point clé : la proposition n'a de sens qu'en fin de cycle de vente. Cela peut paraître frappé du sceau du bon sens. Pourtant combien de fois ai-je vu la remise de proposition figurer très tôt dans le cycle de vente, peu après le premier contact !
Donc, revenons à nos moutons. Si vous m'avez suivi jusqu'ici, vous conviendrez que la proposition ne peut logiquement être partagée qu'en fin de cycle. Mieux, comme il est entendu que le vendeur perd le contrôle du cycle après remise, il est indispensable pour ce dernier de ne la formaliser qu'après avoir obtenu l'accord verbal du client.
Impossible ? Voire.
C'est là que tout le génie de Ross Perot entre en ligne de compte. Suffisamment tôt dans le cycle de vente, dès qu'il avait qualifié son interlocuteur comme décideur, Perot avait coutume de lui poser la question : "Se peut-il qu'à un moment donné de notre relation et pour peu que tout se déroule bien entre nous, vous vous trouviez en situation de me demander une proposotion ?" Naturellement, l'interlocuteur disait : "Oui". A cet instant, Ross Perot initialisait une double négociation portant (i) sur le contenu de la proposition et (ii) sur les modalités de sa remise.
Sur le contenu, Perot précisait que la proposition ne serait qu'une synthèse de l'ensemble des documents validés par les deux parties à la date où elle serait émise. Ainsi, elle contiendrait :
[A] Une copie du courrier décrivant la solution conceptuelle telle que validée par les 2 parties,
[B] Une copie du document décrivant la solution de mise en oeuvre agréée par les 2 parties,
[C] Une copie de la justification économique validée par les 2 parties, comprenant d'un côté l'ensemble des éléments de coût, d'un autre une quantification des bénéfices escomptés sur la base des données fournies par les représentants du client,
[D] Tout document permettant aux parties d'avancer dans la décision d'achat (ex : version validée des contrats, courrier de contrôle confirmant le caractère probant de la preuve fournie, compte rendu validé de visite de référence, etc)
Une fois obtenu l'accord du décideur sur ce point, Ross Perot négociait les modalités de remise de la proposition. Pour ce faire, il sollicitait, quelques jours préalablement à la remise de la proposition officielle, un entretien avec le décideur afin de valider son contenu définitif. Comme la démarche présentait un caractère étrange, Perot expliquait qu'il y avait deux bénéfices distincts. Un pour le client et un pour lui, le vendeur. Le bénéfice pour le client, c'était que ce dernier aurait ainsi l'assurance, qu'au moment de la remise de la proposition définitive, il n'aurait pas de surprise, pas de découverte d'éléments nouveaux. Le point a l'air anodin. Et pourtant ? Avez-vous remarqué combien, en fin de cycle de vente, les clients sont nerveux devant l'introduction de toute nouveauté, combien ils ont tendance à voir du risque partout ? Garantir l'absence d'éléments nouveaux constitue donc une manière élégante et subtile de rassurer le client. Quant à l'avantage pour le vendeur, c'est celui de garantir que la proposition sera OK du premier coup, qu'il n'y aura pas à faire 100 allers-retours, à activer les fonctionnalités d'édition sous Word, avec toute la perte de temps et d'énergie que peut entraîner ce processus fastidieux.
Comme la demande paraissait raisonnable - et elle EST raisonnable - le client avait tout lieu d'y souscrire.
Maintenant, suivez-moi bien. Nous sommes le jour où Ross Perot a son entretien préalable de validation de proposition. Il rencontre le décideur. Il passe en revue devant lui l'ensemble des documents validés par les deux parties et censés être inclus dans le document final : la solution conceptuelle ? ... OK ... le plan de mise en oeuvre ? ... OK... la justification économique avec le prix d'un côté, la valeur de l'autre ? ... OK... les contrats ? ... OK...
Et c'est là que vient la question taquine :
"M. le client. Il semblerait que tout soit en bon ordre de votre côté. Sachez que, de mon côté, je suis parfaitement disposé à conclure cette affaire avec vous dans les meilleurs délais. A propos de délais, justement... Croyez-vous qu'il soit raisonnable que nous attendions encore une semaine pour la remise de la proposition, alors que selon vos propres chiffres reflétés dans la justification économique ci-joint, chaque semaine qui passe sans utiliser les facultés qui vous intéressent chez nous, occasionne chez vous d'un manque à gagner de _____ euros ?"
Si le client est une "business person", il doit souscrire à un raisonnement aussi logique.
Dans ce cas, le contrat sera signé... AVANT la remise de la proposition.
CQFD.
__
PS : Sur la proposition toujours, sur une position moins radicale mais très pertinente, je vous invite à lire les excellents commentaires de Giandra de Castro (ici) et Casimir Joseph (ici). Par ailleurs, le livre blanc publié par JITB sur ce sujet constitue également une ressource de grande qualité.
Commentaires