Au début du siècle dernier, le neurologue Hippolyte Bernheim se livra à une bien étrange expérience. La scène se passait dans un théâtre, quelques minutes avant le début de la représentation. En prélude au lever de rideau, Bernheim hypnotisa un sujet et lui intima l'ordre d'ouvrir son parapluie en plein milieu de la pièce qu'il verrait après son réveil. L'expérience fut un succès retentissant. Interrogé immédiatement sur les raisons qui l'avaient poussé à agir ainsi, le sujet expliqua qu'il avait cru avoir perdu son billet, qu'il pensait avoir vu ce dernier glisser entre les baleines et que la meilleure façon de s'en assurer était d'ouvrir le parapluie.
Devant les murmures d'étonnement de l'auditoire, le sujet se rendit vite compte qu'il venait de raconter une baliverne, ou plutôt, qu'il venait de rationaliser un phénomène qu'il était bien en peine de comprendre. Car la raison véritable de son geste incongru lui était inaccessible. L'injonction d'Hyppolite Bernheim d'ouvrir le parapluie pendant la pièce avait été emportée dans l'amnésie post-hypnotique.
Cette jolie expérience fut l'un des détonateurs qui conduisirent Freud à soupçonner l'existence de l'inconscient, puis à en sonder les ressorts.
Dans la vente, le même phénomène se produit. On peut le résumer ainsi : si les décisions d'achat se prennent de façon émotionnelle, voire parfois de manière purement instinctive, nous ne voulons pas reconnaître que nous agissons sous l'emprise des forces obscures de l'inconscient. Alors, nous faisons effort pour étouffer dans des raisonnements froids et logiques ce que notre coeur nous dicte.
Dans le domaine de B2C, la démonstration n'est plus à faire. Il est désormais communément admis que les gestes compulsifs sont à la base de nombre de nos actes de consommation, y compris lorsque le montant à débourser est significatif, comme dans le cas de l'achat d'une voiture. Interrogés sur nos motivations en sortie de concession, nous aurons beau jeu d'expliquer que nous avons choisi tel véhicule en raison de sa consommation modérée, de sa tenue de route à toute épreuve ou de sa fiabilité légendaire. Bien souvent, la vérité est tout autre et renvoie plus au lien entre l'image que nous nous faisons de nous-mêmes et la manière dont la voiture va nous permettre de projeter cette image alentour.
Il y a une quinzaine de jours, j'eus l'occasion d'écouter Clotaire Rapaille, un expert marketing réputé aux USA s'exprimer sur ce sujet. Pour lui, les choses sont claires : on ne peut pas faire confiance à ce que les gens disent. Ils racontent ni'mporte quoi. Ils se mentent à eux-mêmes à force de vouloir présenter de façon acceptable et rationnelle ce qui n'est en réalité qu'une réponse instinctive à une pulsion. Dans son dernier livre, "The Culture Code", Rapaille montre que derrière chaque bien générique, il y a une image de référence enfouie dans l'inconscient. C'est cette image, qu'il appelle le "code culturel". C'est cette empreinte archétypale que les gens de vente & de marketing doivent débusquer pour favoriser la démarche d'achat.
Et dans le B2B ?
Et bien c'est la même chose.
La rationalisation repose cette fois sur deux grandes clefs : le processus de consultation et la justification de valeur, parfois résumée sous l'expression de calcul de ROI.
Le processus de consultation (avec ou sans appel d'offres) est une manière de légitimer a posteriori que le fournisseur choisi dès les phases amont d'instruction du dossier est bien le meilleur de sa catégorie. Quant à la justification de valeur, elle vise uniquement à montrer que l'investissement est sain, qu'il a une excellente raison d'être au regard des retours attendus.
D'après certains observateurs, dans plus de 80% des cas, le choix du fournisseur se fait dès la phase d'analyse du besoin et de développement de la solution conceptuelle. Est-ce à dire que les processus de consultation, d'appel d'offres, sont truqués ? Non. Cela veut simplement dire, que dans le B2B aussi, les organisations ont besoin de rationaliser les choix dictés par l'émotion.
Autrement dit, quand vous recevez un appel d'offre non sollicité dans votre case courrier sans connaître les tenants & aboutissants du projet référencé dans le document, prenez un peu de recul avant de vous lancer bille en tête dans la rédaction de votre réponse. Et posez-vous plutôt deux fois qu'une la question suivante : "ai-je vraiment une chance de gagner cette consultation ?"
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