Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais les sauriens ont la cote en ce moment.
Seth Godin, le gourou du permission marketing, en parle dans son nouveau livre Linchpin. Il montre combien nos élans vers l'épanouissement personnel, vers le dépassement de nous-mêmes, sont systématiquement brisés par une zone archaïque de notre cerveau, très rudimentaire dans son fonctionnement, préoccupée seulement d'assurer les conditions de notre survie et de notre reproduction. Cette zone, il l'appelle le "lézard". C'est là, affirme-t-il, que se développent les comportements d'évitement du risque. C'est lui, le cerveau-lézard, qui cimente nos peurs comme autant de réponses à un inconnu redoutable. C'est aussi le roi du court-circuit. Dès que la situation présente un danger réel ou figuré, le roi-lézard prend la main d'autorité. Il fait taire le cortex, responsable de nos raisonnements et fait comprendre au cerveau limbique contrôlant nos émotions que la situation est suffisamment grave pour s'épargner une dose de pathos bien superflue. En un mot, comme en cent, le cerveau lézard déteste l'inconnu ; il nous fait résister au changement et est notre agent d'immobilité.
Plus récemment, en écoutant Clotaire Rapaille décoder les motivations profondes sous-tendant nos motivations d'achat, je fus surpris de constater que j'étais encore en présence d'un adepte inconditionnel de la vision tri-unitaire du cerveau : le cortex pour le raisonnement et la logique, le limbique pour les émotions et le reptilien pour les fonctions de survie & de reproduction. Pour Rapaille, les choses sont encore plus catégoriques que pour Godin. Nous raisonnons pour fournir un alibi à nos émotions. Quant à nos émotions, elles proviennent elles-mêmes de stimuli très profondément enfouis au coeur de la partie la plus archaïque de notre cerveau. Et là, ce n'est surtout pas la peine de lutter : le reptilien l'emporte à tous les coups.
Je trouve étonnant que Godin et Rapaille exploitent de façon aussi systématique le concept de cerveau reptilien/lézard. Car après tout, cette idée de décomposition en trois parties du cerveau mise à l'honneur par Paul Mac Lean en 1970 n'a aucun fondement scientifique. Au bout du compte, elle ne constitue qu'un superbe outil théorique.
Plus surprenant encore, alors que Godin nous invite à nous libérer des injonctions du serpent qui sommeille en nous, Rapaille, au contraire, nous demande d'aller le caresser dans le sens des écailles. Et même si le premier adresse un message de développement de soi alors que le deuxième recherche les clefs explicatives de nos comportements d'achat, la contradition a de quoi troubler.
Alors plutôt que de prendre position sur nos rapports avec les ophidiens, je préfère laisser le dernier mot à Hugh MacLeod, devenu célèbre pour ses petits dessins réalisés au dos des cartes de visite. Là encore, il y est question de vente et de sauriens. Mais des dinosaures, cette fois. Avec cette phrase que je trouve savoureuse et non dénuée de sagesse : "N'essayez pas de vendre une météorite à un dinosaure. Vous perdez votre temps et cela agace le dinosaure".
PS : le dessin de Hugh MacLeod a été publié pour le compte de l'agence de publicité de Newcastle, Craven. Pour d'autres dessins du même auteur, je vous invite à accéder au site Gapingvoid.
Cerveau reptilien et société moderne
http://www.neotrouve.com/?p=31
Rédigé par : neotrouve | 16/04/2010 à 15:26
Analyser et désamorcer le programme cérébral reptilien
http://www.neotrouve.com/?p=602
Rédigé par : neotrouve | 16/04/2010 à 15:27
Monsieur yogourt
Rédigé par : Chat | 05/05/2010 à 21:49
Bien que l'hypothèse d'un cerveau tri-unitaire soit manifestement fausse, de récentes découvertes en neuroscience donnent raison aux intuitions de Rapaille. Il semble en effet que notre cerveau soit bi-unitaire. Si on simplifie, on peut dire que deux esprits distincts cohabitent dans notre boite crânienne: un esprit rationnel qui justifie toutes nos positions mêmes celles totalement irrationnelles (préjugés, racismes, raisonnement fallacieux, etc.) et un autre intuitif qui, à notre insu, prend souvent le dessus sur notre raison.
Suggestion de lecture : Thinking Twice : Two minds in one brain, ISBN13: 9780199547296, Jonathan Evans, Oxford University Press, extrait : http://fds.oup.com/www.oup.com/pdf/13/9780199547296.pdf
Rédigé par : Alain Nonyme | 21/03/2011 à 21:18
Cher M. Nonyme,
Merci pour votre commentaire ainsi que pour l'extrait de "Thinking Twice" de Jonathan Evans joint.
Passionnant et terrorisant à la fois !
Rédigé par : Jean-Marc à Alain Nonyme | 30/03/2011 à 13:30