Dans un billet récent de son blog, Seth Godin présente une analyse intéressante sur l'art et la manière de justifier un prix bien plus élevé que la concurrence.
Pour illustrer le propos, Godin prend l'exemple d'un savon liquide de la marque AHAVA, vendu plus de 20 dollars, alors que le produit de base concurrent ne coûterait pas plus de 3 dollars sur les rayons de supermarché.
D'où vient la différence ? La réponse de l'auteur est désarmante de simplicité : de l'histoire qui accompagne le produit et dont la trame narrative se retrouve sur l'ensemble des éléments du packaging.
Seth Godin va même jusqu'à disséquer les différents éléments constitutifs de l'histoire :
1. Ce n'est pas un vulgaire savon. C'est un "mineral botanic". Ne vous creusez pas trop la cervelle ; cela ne veut strictement rien dire. Et c'est justement là que réside la force du message. Car derrière la juxtaposition des mots "minéral" et "botanique", c'est le client qui va pouvoir librement établir les connexions qu'il veut. C'est donc le client qui crée l'histoire, en laissant son esprit vagabonder. "Minéral & botanique"... Avez-vous déjà pensé au potentiel onirique de l'expression "fleur de sel" ? L'élément botanique (la fleur) est associée à l'élément minéral (le sel). Entre les deux, il y a le geste du saunier qui recueille délicatement la fine pellicule de sel déposée par l'action conjuguée du soleil et de la mer.
2. Ce n'est pas produit par une société spécialisée dans le savon. C'est conçu et fabriqué par "Dead Sea Laboratories". Et si l'évocation du laboratoire sent bon l'environnement scientifique, la blouse blanche et la paillasse, la Mer Morte donne un tour mystique à la chose. Par un jeu de correspondances subtiles, la Mer Morte renvoie à l'univers symbolique du "minéral / botanique", "scientifique / mystique". C'est un peu comme si le fort degré de salinité suggérait le sel de la terre. Revient alors en mémoire la parole de l'évangile de Marc (10:50) où il est dit : "Le sel est bon ; mais si le sel devient insipide, avec quoi lui donnerez-vous de la saveur ?" Et Jésus de conclure : "Ayez du sel en vous-mêmes, et soyez en paix entre vous". Là encore, ce n'est pas le produit qui nous transforme. L'histoire ne nous fait pas promesse de changement radical à travers lequel nous allons subitement acquérir beauté et pouvoir de séduction. Non. L'histoire nous suggère un processus de transformation au plus profond de nous.
3. C'est à base de figue et d'hibiscus. Le parfum subtil de la figue avec le dessin délicat de la fleur d'hisbiscus. Voilà une vraie trouvaille. L'association de la figue et de l'hibiscus nous propulse dans la douceur des jardins de Méditerranée. Le rêve continue, faisant appel cette fois à d'autres canaux de perception : l'olfactif et le gustatif.
4. Les commentaires sont en français. "Crème douche velours". Nous voilà plongés dans le monde de la sophistication et du raffinement, que le monde entier nous envie.
Tous ces points mis en évidence par Godin sont on ne peut plus valides.
Pourtant, il y a un point qu'à mon sens il survole allègrement. C'est le pouvoir onirique & symbolique associé au nom de la marque. AHAVA est la graphie en caractères romains du mot constitué des lettres ALEPH-HEY-VET-HEY (אהבה) signifiant "amour" en hébreu. Godin parle de la sonorité du mot qui évoque pour lui une respiration. Il ne croit pas si bien dire puisque le mot AHAVA comprend 2 fois la lettre HEY (ה), dont la prononciation en hébreu s'apparente souvent à un simple souffle.
Mais la magie du mot ne s'arrête pas là. Cette double présence de la lettre HEY en deuxième et quatrième position, le mot AHAVA la partage avec le tétragamme indicible Y-H-V-H. Les deux HEY sont aussi les deux attributs que le divin partagera avec Abraham et Sarah pour sanctifier la nouvelle alliance dont naîtra Isaac.
Enfin, pour ceux d'entre vous qui êtes adeptes de guématrie, sachez que la valeur du mot AHAVA est 13 (1+5+2+5), soit la moitié de celle du tétragramme (10+5+6+5 = 26). Est-ce une façon de nous rappeler que la meilleure façon de nous rapprocher du divin est de vivre un amour partagé, c'est-à-dire dédoublé, réciproque ?
Comme quoi derrière une bouteille de savon liquide peut se cacher un univers insoupçonné de significations, puisant dans des registres aussi divers que l'onirique, le symbolique, la tradition, le religieux, voire le mystique.
Rien que ça justifie allègrement une différence de prix allant du simple au sextuple, non ?
Mais si, en plus, les équipes ventes & marketing ont la finesse de laisser au consommateur le soin de construire sa propre histoire à partir d'indices jetés çà et là sur le packaging, alors - pour reprendre un slogan publicitaire bien connu - l'expérience d'achat devient... inestimable et le prix à payer... indifférent.
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