Aujourd'hui sort en librairie le dernier livre de Philippe Bloch intitulé "Service Compris 2.0". L'ouvrage est constitué de 360 fiches pratiques et intelligentes sur l'art & la manière de procurer un service de qualité à ses clients.
J'ai aimé ce livre. Car pour la première fois depuis bien longtemps, je vois - de façon subtile et indirecte - émerger les signes encourageants d'une remise en cause de la langue de bois "made in USA" sur ce qu'il est de bon ton de faire (et de ne pas faire) en matière de service à la clientèle.
Pour ceux à qui cela aurait échappé, nous avons vécu, durant les 30 dernières années, sous une véritable chape de plomb propagandiste sur ce que j'appellerai "l'évangile du bon service". Pour faire court, ça commençait par l'énoncé d'un principe catégorique, un axiome : "Le client est roi". Tout le reste (sourire au client, lui donner satisfaction en toutes circonstances, accepter qu'il retourne la marchandise même après l'avoir utilisée, etc.), n'était en réalité qu'une série de théorèmes ou lemmes, c'est-à-dire de vérités démontrables à l'aune de l'axiome retenu.
Or, je ne sais pas pourquoi, jusqu'au dernier livre de Philippe Bloch, personne n'est jamais venu mettre en cause l'axiome du client-roi. Car enfin, il faut bien se rendre à l'évidence : qui dit client-roi, dit de façon induite vendeur-serf. Mettre sous forme axiomatique l'idée de "client-roi" revient à accepter que service rime avec servile.
Et là, mon esprit s'insurge.
Lorsque j'anime des formations auprès de populations commerciales, j'ai coutume de dessiner au tableau deux bonshommes, un petit et un grand. Je pose alors la question de savoir parmi ces deux bonshommes, lequel est le client et lequel est le vendeur. Je reçois systématiquement la réponse selon laquelle le petit est le vendeur et le grand le client. "Pourquoi ?", demandé-je. "Parce que le client, il a l'argent". Voilà la réponse que je reçois constamment. Vous voyez mieux la connexion maintenant ? Affimer que "le client est roi", c'est dire "celui qui a l'argent a le pouvoir sur celui qui ne l'a pas." Et là, on sort de l'innocence. L'axiome gentillet devient soudain l'expression d'une idéologie.
Durant mes formations, je passe un temps significatif à rappeler que, dans le commerce, tout l'art du vendeur doit être de bâtir une relation d'égal à égal avec son client. A l'argent du client, répond la valeur que le vendeur apporte au client à travers les biens et services mis à sa disposition. Si les termes de l'échange sont équilibrés, la transaction sera saine. Et ce qui sera payé sera synonyme de paix, tant il est vrai que dans les langues latines comme en hébreu, les deux concepts partagent une racine identique. En revanche, si tel n'est pas le cas, si le client exerce sur le vendeur un pouvoir "illégitime" au nom de je-ne-sais-quelle-pseudo-vérité comme celle, on ne peut plus équivoque, du "client-roi", alors, c'est la porte ouverte à tous types possibles de dérives, notamment au niveau du service proposé.
Dans son dernier ouvrage, sans avoir l'air d'y toucher, Philippe Bloch, qui partage sa vie entre les USA et la France, semble revenir à pas feutrés sur le discours de propagande US autour de la définition du bon service :
- S'il rappelle que "le client a toujours raison. Point final !" (point 21), il tempère son propos avec un "Mieux vaut parfois ne pas écouter ses clients" (point 34) ;
- A travers son "Attention aux économies qui n'en sont pas" (point 35), il prend comme exemple à ne pas suivre le cas d'une société américaine ayant réduit ses effectifs au guichet pour réaliser des économies... au détriment de la qualité du service au client ;
- De façon surprenante, lorsqu'il nous enjoint de "visiter les derniers petits paradis du service" et en dépit d'un tropisme fort vers les USA, c'est en Provence qu'il nous demande de le suivre ;
- Quand, au point 138, il recommande de "limiter le reporting au strict minimum" afin de privilégier au maximum de temps d'interaction avec les clients, il fustige indirectement le comportements des bureaucraties, avec au premier rang d'entre elles les sociétés américaines et leur idolâtrie pour le reporting ;
- Au point 194 intitulé "Il faut que j'appelle mon superviseur", il énonce combien "la façon hiérarchique de concevoir la compétence devient vite insupportable quand elle est systématique". En préalable à ce point, il se sera presque excuser d'écorner les Etats-Unis dans leur vision de ce que veut dire "rendre service" : "Si les Etats-Unis ont longtemps été un observatoire avancé de la qualité de service, il faut reconnaître qu'ils ont aussi leurs failles."
Comme Philippe Bloch, je partage ma vie entre la France et les Etats-Unis. Et autant le reconnaître tout de go, j'ai toujours trouvé particulièment médiocre la façon dont les Américains concevaient la notion de service. A l'omniprésence du sourire-racoleur-façon-rue-Saint-Denis qu'arborent tous les offreurs de services aux USA, j'ai toujours préféré le visage renfrogné du serveur de café parisien qui vous sert sans vous regarder. A l'incompétence des employés au comptoir US qui se régufient pour un oui ou pour un non dans une application sourcilleuse du contrat ou font appel à la hiérarchie, j'ai toujours préféré l'aléa que promettait l'interaction avec un guichetier européen. Au risque d'être déçu, bien sûr. Et assez souvent, il est vrai. Mais voilà. Je supporte mal l'empressement des valets (voituriers en français) quand ils vous ouvrent la porte de votre voiture avec un grand sourire de façade. Comment faire comprendre à mes amis Américains que j'aime qu'on ne vienne pas vers moi quand je rentre dans un restaurant. Je veux pouvoir sentir l'atmosphère, humer les senteurs provenant des cuisines, apprécier la décoration, écouter le rire de gorge des femmes pour me faire une idée si la nourriture sera bonne... Cela nécessite du temps, de la lenteur et surtout, de la solitude plus que de la sollicitude.
Et tout ça, Philippe Bloch le sait bien quand il mentionne que "rien ne vaut l'observation attentive des faits et gestes de vos clients" (point 183).
Car cette maxime vaut aussi bien pour le monde du service que pour celui de la vente, deux activités bien artificiellement séparées tant il est vrai que "après la vente, la vente continue !" (point 26) et que, pour paraphraser Clausevitz, le service n'est ni plus ni moins que le prolongement de la vente, mais par d'autres moyens.
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PS - Pour celles et ceux d'entre vous qui souhaiteraient se payer une tranche de rigolade sur les travers d'un service pas compris du tout, je vous invite à suivre les tribulations de ces jeunes belges pastichant, dans le cadre d'une farce enlevée et joyeuse, le service client d'un opérateur de téléphonie mobile. C'est en flamand sous-titré en anglais et c'est ici. A mourir de rire !
Très bonnes observations.
C'est justement pour éviter une partie des interactions négatives que tu décris que les sites d'e-commerce font toujours ouvrir un compte aux clients lors de leur premier achat et essayent même de les convaincre de sauvergader leurs données de paiement. Le but étant qu'à sa prochaine visite, ce client rencontre moins de barrières à l'achat, ce que les Américains appellent "frictionless commerce".
Amazon est passé maître dans cet art avec le "one-click checkout" qu'ils ont d'ailleurs essayé de breveter.
Rédigé par : Marc | 01/03/2011 à 22:04
Bonjour Marc,
Quelque chose me dit que ton commentaire s'applique plus à la note "comportements d'achat et dissonance cognitive" qu'à celle sur "Service Compris 2.0" de Philippe Bloch, right?
A bientôt
Jean-Marc
Rédigé par : Jean-Marc à Marc | 02/03/2011 à 04:12