C'est le pourcentage de personnes qui, alors qu'elles se sont engagées dans une démarche d'achat sur un site de commerce électronique, l'abandonnent en cours de route. Soit pratiquement 3 personnes sur 4.
Ce chiffre, je l'ai entendu en écoutant Charles Nicholls, le fondateur de la société SeeWhy, présenter lors d'un wébinaire les résultats d'une série d'études sur les comportements d'achat dans le monde du commerce en ligne.
A la question de savoir quels sont les facteurs qui concourent à expliquer un pourcentage d'abandon aussi élevé, Charles s'appuie sur une analyse de Forrester Research pour en mentionner deux :
- le prix
- la peur (ou, en termes plus "politiquement corrects", le sentiment de ne pas être prêt à acheter)
Jusque là, rien de bien surprenant. En tout cas, rien qui justifie ce pourcentage fou de 3 personnes sur 4 abandonnant leur achat en ligne en cours de route.
Un peu plus avant dans l'exposé, Charles Nicholls évoque la séquence typique d'activités émaillant la concrétisation d'un acte d'achat sur un site e-marchand.
Puis, dans un deuxième temps, il montre à quels moments, dans la séquence d'activités, le client a tendance à abandonner. Charles introduit alors les notions de consonance et de dissonance cognitive pour illustrer l'idée que si, à certaines étapes du processus, le client évolue avec aisance (consonance cognitive), à d'autres, il aura tendance à éprouver une contradiction entre ses actes et sa pensée. Il vivra alors une situation de dissonance cognitive ; c'est à ces moments-là qu'il aura tendance à abandonner son caddie en plein milieu de la travée virtuelle.
A la vue de la diapositive ci-dessus, je fus frappé par la similitude entre ces résultats et ceux publiés par Neil Rackham, il y a maintenant plusieurs décennies, sur l'évolution dans le temps de la psychologie d'achat des clients dans un contexte de transaction "organisation-à-organisation", alias "business-to-business" ou encore B2B. Or que nous disait Neil Rackham ? Tout simplement qu'un client passait par 4 phases distinctes durant un cycle de décision d'achat : une phase d'idéalisation pendant laquelle prime la définition du besoin, une phase d'instruction durant laquelle le client voudra s'assurer que le ou les fournisseur pressenti(s) pourra(ont) apporter les facultés désirées, une phase de décision se soldant par une recherche active de minimisation des facteurs de risques, puis une phase d'utilisation au cours de laquelle le client vérifiera l'obtention (ou non) des bénéfices préssentis durant les phases précédant la prise de décision.
En première lecture, ce graphe ne présente pas de grande surprise non plus. Pourtant, s'il est un point sur lequel la plupart des organisations en général et des commerciaux en particulier butent, c'est bien la compréhension des émotions qui habitent le client au moment où il doit prendre sa décision. Il s'agit d'un sentiment d'incertitude, de manque de confiance, de perception aiguë des facteurs de risque. Quand le client se trouve dans cette phase de son cycle d'achat, la meilleure chose que le vendeur puisse faire c'est... rassurer et non pas, ce qui se produit pourtant dans la très grande majorité des cas, tenter de forcer la décision par un geste commercial ou l'exercice d'une pression aussi vaine que néfaste. Car on n'insistera jamais assez pour dire qu'en phase d'achat effectif, le client est habité par une série de doutes, d'incertitudes, bref d'émotions négatives inhibant sa faculté à aller de l'avant.
Revenons maintenant à notre client en passe d'effectuer un achat sur un site marchand. Et comme dans un jeu de décalcomanies, projetons sa séquence d'activités et les zones de consonance ou de dissonance conginitive sur la courbe d'émotion héritée des travaux de Neil Rackham. Et là, comme par magie, les courbes se superposent pratiquement.
Je tire trois enseignements de cette découverte :
1. En matière de psychologie d'achat, le client se comporte de la même façon que la boutique soit en parpaing ou en virtuel.
2. En matière de psychologie d'achat, B2B ou B2C, finalement, c'est blanc bonnet et bonnet blanc.
3. Dans le monde virtuel, les concepteurs de site marchands auraient quelque intérêt à observer les dynamiques humaines et psychologiques en jeu dans un acte d'achat dans un espace libre, c'est-à-dire dans un espace non contraignant comme peuvent l'être les super- ou hyper-marchés. En observant avec attention ces dynamiques, il se pourrait qu'ils soient amenés à revisiter une série d'idées préconçues sur le design des espaces marchands. A tout le moins, ils découvriraient sans doute l'importance qu'il y a à prendre en compte l'évolution de la psychologie du client tout au long du parcours navigationnel conduisant à la concrétisation d'un achat en ligne. Et pour cela, rien ne vaut le fait de passer une matinée sous la halle d'un marché de village un samedi matin.
Bonnes courses !
Jean-Marc,
Excellent article (comme à votre habitude).
Ce qui me frappe, dans le processus d'achat en ligne mis à plat, c'est le nombre d'étapes. Cela paraît beaucoup trop compliqué pour acheter une paire de chaussettes.
Dans le commerce classique, le processus peut être fluide et agréable, quand on sait y faire, meme s'il contient de nombreuses étapes : scan, scan, sourire, scan, "vous avez une carte de fidelité ?", scan, scan, carte bleue, code secret, cadeau, re-sourire, "Au-revoir, à bientôt".
Sur un site d'achat en ligne, le processus est materialisé (martelé?) par un passage de page en page. L'utilisateur est seul face à son navigateur et ses angoisses, à chaque page. N'est-ce pas la différence fondamentale ?
Y a-t-il d'autres modèles d'achat en ligne ? Est-ce que toutes les étapes sont obligatoires ?
Que pensez-vous de l'achat simplifié (one click) ? Est-ce qu'il supprime/atténue les phases "négatives" d'hésitation ?
Rédigé par : Stephane Monsallier | 03/03/2011 à 11:58
Stéphane,
Merci pour le compliment.
Vos remarques sont très pertinentes.
Quant à vos questions, je laisse directement la parole à mon ami Marc qui, dans un de ses commentaires récents, écrit : "C'est justement pour éviter une partie des interactions négatives (...) que les sites d'e-commerce font toujours ouvrir un compte aux clients lors de leur premier achat et essayent même de les convaincre de sauvergader leurs données de paiement. Le but étant qu'à sa prochaine visite, ce client rencontre moins de barrières à l'achat, ce que les Américains appellent 'frictionless commerce'".
Par ailleurs, certains sites de commerce en ligne comme Amazon sont passés maîtres dans cet art : le concept de "one-click checkout" qu'ils ont essayé de breveter en est l'illustration patente.
Pour autant, le % d'abandon reste toujours aussi préoccupant. Cela montre à mon sens que la compréhension fine de ce qui se joue en termes de psychologie-client reste très sous-estimé. Dans votre commentaire, vous suggérez que la présence du sourire de la caissière agit comme un facteur d'apaisement, de baisse du risque. A contrario, la navigation de page en page agirait comme un facteur agravant du risque. Je suis en phase avec vous.
Depuis un certain temps, j'observe avec intérêt l'obstination avec laquelle les acteurs du monde internet cherchent à apprivoiser nos émotions à coups d'innovation dans la façon de dessiner les sites. L'attention à "l'expérience client" est le témoin de cette prise de conscience. Voilà qui est bien salutaire. Et étant un optimiste invétéré, je suis prêt à parier que d'ici quelques mois, nous devrions voir de belles choses apparaître sur les sites de commerce en ligne.
Domaine à suivre de près, donc.
Bien à vous
Jean-Marc
Rédigé par : Jean-Marc à Stéphane Monsallier | 04/03/2011 à 20:10
Aujourd'hui, les sites de vente en ligne sont aussi pleins de pièges. Pour exemple, cdiscount proposait il y a peu (et propose peut-être encore) un achat d'ordinateur portable avec paiement en 10 fois sans frais. Cet attrait était bien sûr énormément mis en avant par le site.
Là où le bât blesse, c'est que le "10 fois sans frais" était en fait valable uniquement pour les accessoires achetés avec l'ordinateur, mais pas pour l'ordinateur lui-même.
Même si, personnellement, je me demande encore si on ne peut pas appeler cela de la publicité mensongère, ceci est monnaie courante sur internet et d'après mon expérience, bon nombre de personnes "tentent" de terminer une vente jusqu'à la contractualisation pour s'assurer qu'il n'y ait pas d'entourloupe. Avant de renoncer au dernier moment, car une surtaxe qui n'était pas prévue initialement s'ajoute de façon inopinée : frais de port gratuits seulement si le client paye par carte bleue par exemple, frais supplémentaires lorsque le client ne paye pas par paypal, etc.
Ce phénomène peut peut-être en partie expliquer le chiffre de 71% de taux d'abandon car la confiance qu'ont les clients dans les sites de e-commerce est toute relative si gros soient-ils.
Rédigé par : Aurélien | 17/12/2011 à 11:31
Aurélien,
Vous ne croyez pas si bien dire.
Forrester a réalisé une analyse sur les raisons expliquant ce fameux taux d'abandon de 71%.
Dans l'ordre décroissant d'importance, les 5 causes principales d'abandon sont :
1. Les coûts de livraison sont trop élevés (44%),
2. "Je n'étais pas prêt à acheter le produit (41%),
3. "Je voulais comparer les prix sur d'autres sites avant de m'engager" (27%)
4. "Le prix du produit était plus élevé que ce que j'étais prêt à mettre" (25%)
5. "En réalité, je voulais juste mettre en réserve des produits dans le caddie dans la perspective de les acheter ultérieurement" (24%)
(Note : les répondants à cette étude pouvaient donner plusieurs réponses. Pour plus d'information, vous pouvez suivre le lien suivant : http://seewhy.com/blog/2010/06/03/reasons-why-website-visitors-abandoned-their-shopping-carts/)
Les responsables de sites de vente en ligne savent parfaitement que la gratuité des coûts de livraison ou les facilités de paiement constituent de puissants incitateurs à l'achat... D'où la mise en avant de ces arguments.
Dommage en revanche que d'aucuns rendent aussi peu explicites les condtions d'application des ces avantages clients.
Jean-Marc
Rédigé par : Jean-Marc à Aurélien | 17/12/2011 à 23:39